Après avoir tenté d’attirer l’attention des responsables locaux du secteur de la Santé, sur la situation catastrophique qui prévaut au niveau de son service, le professeur Fouad Khalloufi, chef du service de pneumologie à l’hôpital Dorban à Annaba, a déposé, il y a quatre jours, sa démission.
La pandémie de Covid-19 et les pénuries d’oxygène médical ne cessent de mettre à nu les limites du système de santé algérien. De leur côté, les professeurs et les médecins se démarquent de la version des officiels sur la situation sanitaire dans les différents établissements hospitaliers du pays.
Manque de moyens humains et matériels, contamination et décès du personnel soignant, coupures répétées et récurrentes de l’alimentation en oxygène, insécurité et agressions… c’est devenu le lot quotidien du personnel de la santé, mobilisé depuis près de 18 mois pour combattre la pandémie de Coronavirus. Mais les choses ont, semble-t-il, empiré depuis le début de cette troisième vague caractérisée par une mortalité et une contagiosité plus importante, à cause du variant Delta.
Les pouvoirs publics n’avaient pas prévu l’ampleur de cette troisième vague. Le relâchement des citoyens qui négligeaient les gestes barrières et la distanciation sociale était accompagné par un relâchement des autorités au sujet de la prise de mesures et de production de matériels et matières indispensables pour lutter contre la recrudescence de la Covid-19, ou du moins, prendre en charge les malades. Cette troisième vague a pris tout le monde de court. Mais les répercussions sur le personnel de la santé, et par ricochet sur les malades admis au niveau des différents services Covid, sont dévastatrices.
Les soignants sont à bout de souffle. Leur moral est au plus bas. Beaucoup d’entre eux ont été contaminés par la Covid-19, certains en sont morts. Les médecins peinent à stabiliser des malades arrivés dans un état critique, pour finir par les perdre quelques heures plus tard à cause de coupures dans l’alimentation en oxygène. Une situation qui ne fait que les démoraliser encore plus. Ce sentiment d’impuissance face à l’agonie d’un malade qui suffoque par manque d’oxygène.
Mais ceux qui risquent leur vie et celles des êtres qui leur sont chers pour sauver des vies, sont confrontés, au niveau de plusieurs hôpitaux à travers le territoire national, à un autre problème de taille : les agressions et l’insécurité qui font peser un climat de terreur sur les médecins, paramédicaux et les travailleurs du corps commun de la santé.
Insécurité et « climat de terreur »
En trois jours seulement, le personnel de l’hôpital Dorban a connu trois actes de vandalisme et/ou agression physique sur le personnel. Mardi 3 août, des personnes ont saccagé le service des urgences de l’hôpital du Dr Dorban, le lendemain c’était au tour du service de pneumologie de connaître le même sort et le surlendemain c’est une maître-assistante du service des maladies infectieuses qui a été agressée verbalement et physiquement par le parent d’un malade.
« Tout le monde peut entrer et sortir de l’hôpital comme bon lui semble, et accéder à des malades hautement contagieux, le plus souvent sans aucun moyen de protection contre le virus. Lorsque nous essayons de leur interdire l’accès, on se retrouve souvent confrontés à des insultes et des tentatives d’agressions physiques. Des parents de malades ne comprennent pas qu’un médecin ne peut rien faire à un être qui lui est cher, quand ce dernier est en train de mourir asphyxié sous ses yeux, faute d’oxygène. Beaucoup d’entre eux pètent les plans. Ils ressentent le besoin de se défouler sur quelqu’un et de lui faire porter la responsabilité de cette perte. Les seuls personnes présentes sur les lieux sont les médecins et les paramédicaux. Nous payons les pots cassés. Il devient impossible de travailler dans de telles conditions », témoigne l’une des médecins résidentes du service de pneumologie.
Le personnel travaille avec une triple peur au ventre. Tout d’abord, il y a cette peur de perdre un malade, puis la peur d’être contaminé et de transmettre le virus à ses proches, et enfin la peur d’être agressé par les parents d’un malade.
« Indifférence » et « mépris » du DG du CHU
C’est dans ces conditions que le professeur Fouad Khalloufi a adressé une vingtaine de correspondances au directeur général du CHU Ibn Rochd, dont dépend l’hôpital du Dr Dorban, avec, à chaque fois, une copie adressée au DSP d’Annaba. Des correspondances qui sont restées lettre morte.
A aucun moment le DG du CHU n’a daigné répondre aux requêtes de son collaborateur, donnant un sentiment de mépris et d’indifférence aux soignants du service de pneumologie et à leurs doléances.
Cette situation les a poussés à organiser, ce dimanche 8 août, un mouvement de protestation en face du service de pneumologie.
Les revendications des soignants de ce service, dont 9 étaient confinés chez eux, semblaient simples et pouvaient être résumées à la sécurité, fournir les moyens de protection contre le virus et le renforcement des effectifs en puisant au niveau des services non-concernés par la Covid-19. Mais rien n’a été fait.
Les représentants du personnel et leur syndicat ont exposé leurs doléances au DG du CHU, lors d’une réunion tenue hier. Mais celle-ci n’a, pour le moment, abouti à rien. Un second round de négociations serait prévu pour aujourd’hui, mais les travailleurs croient savoir qu’il ne s’agit là que d’une tactique pour absorber leur colère sans satisfaire la moindre de leurs revendications.
Les « mauvaises » décisions du DG du CHU
Les protestataires ont, par ailleurs, pointé ce qu’ils ont estimé être des « mauvaises » décisions de la part du DG du CHU. A la tête de ces décisions contestées le lancement de travaux de renouvellement du service principal de lutte contre la Covid-19 à Annaba, à savoir celui des maladies infectieuses.
A cause de ces travaux, la capacité d’accueil du service est passée à 8 malades. Ce qui est insignifiant quand on parle du service principal anti-Covid d’une grande ville comme Annaba, qui accueille, il faut le rappeler, les malades de 6 wilayas de l’Est.
Une autre décision salutaire a été prise sans consulter les différents chefs des services concernés. Il s’agit d’élargir la prise en charge des malades covid à d’autres services, à l’image du service dermatologie à partir du 1er août. Sauf que ladite décision n’a pas été appliqué prolongeant ainsi la souffrance des autres services après l’espoir d’une sortie de crise.
Nous avons essayé de joindre le directeur général du CHU d’Annaba, mais celui-ci n’a, malheureusement, pas daigné répondre à nos questions.La même journée et à moins de 15 kilomètres plus au sud, les employés de l’EPH El Hadjar manifestaient en solidarité avec l’un de leur collègue agressé par l’un des accompagnateurs d’un malade.
C’est dire que l’insécurité provoque autant de dégâts que la pandémie elle-même auprès des médecins et paramédicaux qui se donnent à fond pour venir à bout du virus.
De Annaba, Kenza Aït Bachir