Abdelmadjid Tebboune : « Nous perdons du temps avec le président Macron »

Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a indiqué, dans un entretien accordé au quotidien français "L'Opinion", au sujet des relations algéro-françaises, que "le climat est délétère". "Nous perdons du temps avec le président Macron", a-t-il ajouté. Tebboune a répondu à des questions au sujet des plus récents développements : Expulsion des sans-papiers algériens, les accords de 68, l'aide française au développement…
© DR | Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune

Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, s’est longuement attardé sur les relations algéro-françaises, dans un long entretien qu’il a accordé au journal français « L’Opinion ».

Commentant l’actuelle crise qui secoue ces relations, celui-ci, qui a affirmé ne pas vouloir « tomber dans une séparation qui deviendrait irréparable », a estimé que « le climat est délétère ».

« Nous perdons du temps avec le président Macron », a-t-il lancé.

Revenant sur l’origine de cette crise, Tebboune a rappelé que son homologue français, pensant « qu’il pouvait compter sur les voix des Français originaires du Maroc et de l’Algérie pour, à l’issue du scrutin législatif, former une alliance centriste lui permettant de poursuivre sa politique », lui a annoncé, le 13 juin lors du sommet du G7, là l’occasion d’une rencontre entre eux de plus de 2h30, « qu’il allait faire un geste pour reconnaître la –marocanité– du Sahara occidental ».

« Je l’ai alors prévenu : Vous faites une grave erreur ! Vous n’allez rien gagner et vous allez nous perdre. Et vous oubliez que vous êtes un membre permanent du Conseil de sécurité, donc protecteur de la légalité internationale, alors que le Sahara occidental est un dossier de décolonisation pour l’ONU qui n’a toujours pas été réglé », a ajouté Tebboune.

« Plus rien n’avance si ce n’est les relations commerciales »

Le Président algérien a tenu à rappeler qu’il avait « beaucoup d’espoirs de dépasser le contentieux mémoriel ». C’est pour cela, a-t-il ajouté, qu’à son initiative, comme il l’a précisé, qu’une commission mixte, « pour écrire cette histoire », a été créée.

Or, « plus rien n’avance si ce n’est les relations commerciales », a-t-il indiqué. « Le dialogue politique est quasiment interrompu », a-t-il ajouté.

Tebboune a mis l’accent, à cet effet, sur les « déclarations hostiles » de « tous les jours » qui émanent « de politiques français », comme celles « du député de Nice, Eric Ciotti, qui qualifie l’Algérie d’ –Etat voyou– ou du petit jeune du Rassemblement national (Jordan Bardella) qui parle de –régime hostile et provocateur— ».

« Personnellement, je distingue la majorité des Français de la minorité de ses forces rétrogrades et je n’insulterai jamais votre pays », a-t-il déclaré.

Reprise du dialogue…il faut que le Président français fasse « entendre sa voix »

Malgré cela, le Président algérien est prêt à « reprendre le dialogue ». Questionné au sujet de la volonté affichée par le ministre français des affaires étrangères de se déplacer en Algérie, Abdelmadjid Tebboune dira qu’il faut que « le président français, les intellectuels, les partisans de la relation puissent faire entendre leurs voix ».

Pour moi, la République française, c’est d’abord son président », a-t-il lancé, en déclarant : « Il y a des intellectuels et des hommes politiques que nous respectons en France comme Jean-Pierre Chevènement, Jean-Pierre Raffarin, Ségolène Royal et Dominique de Villepin, qui a bonne presse dans tout le monde arabe, parce qu’il représente une certaine France qui avait son poids. Il faut aussi qu’ils puissent s’exprimer. Et ne pas laisser ceux qui se disent journalistes leur couper la parole et les humilier, particulièrement dans les médias de Vincent Bolloré dont la mission quotidienne est de détruire l’image de l’Algérie. Nous n’avons aucun problème avec les autres médias, qu’ils soient du secteur public ou privé ».

Les essais nucléaires, un dossier « indispensable »

Pour Abdelmadjid Tebboune le dossier de la décontamination des sites nucléaires dans le sud algérien est « indispensable ».

« Le dossier de la décontamination des sites d’essais nucléaires est obligatoire sur les plans humain, moral, politique et militaire », a-t-il indiqué.

« Nous pouvions le faire avec les Américains, les Russes, les Indonésiens, les Chinois. Nous estimons que l’Algérie doit le faire avec la France qui doit nous dire avec précision les périmètres où ces essais ont été réalisés et où les matériaux sont enterrés. Il y a aussi la question des armes chimiques utilisées à Oued Namous », a-t-il ajouté, en précisant qu’ « il ne faut pas mettre la poussière sous le tapis et régler définitivement ces contentieux ».

 Coopération sécuritaire : « il n’y a plus de coopération entre la DGSI et les services algériens »

Pour ce qui est de la coopération sécuritaire, mais surtout des rapports entre renseignement intérieur français et les services algériens, Tebboune dira que « la DGSI est aujourd’hui sous la tutelle du ministre l’Intérieur » et que « tout ce qui est –Retailleau– est douteux compte tenu de ses déclarations hostiles et incendiaires envers notre pays ».

« Il n’y a donc plus de coopération, à l’inverse de la DGSE (renseignement extérieur, NDLR) qui a su garder ses distances », a-t-il précisé.

Pour ce qui est du déplacement, le 13 janvier dernier, à Alger, de Nicolas Lerner, patron de la DGSE, le Président dira : « Il a demandé à être reçu. Nous avons accepté car nous avions confiance en lui quand il dirigeait la DGSI ».

Questionné sur l’éventualité que cette visite soit en lien avec l’affaire de l’ex-terroriste, de Aïssaoui Mohamed Amine alias Abou Rayan, Tebboune s’est contenté d’affirmer que « l’affaire Abou Rayan est un épiphénomène ».

Le président algérien a également répondu à des questions relatives aux plus récents développements.

Bruno Retailleau, « a voulu faire un coup politique »…

Concernant le refus d’Alger de laisser débarquer l’influenceur algérien « Doualemn », résident d’une manière régulière en France, que les autorités françaises ont tenté d’expulser vers l’Algérie le 7 janvier dernier, il dira que le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, « a voulu faire un coup politique en forçant son expulsion » et qu’il « vient d’être retoqué par la justice française qui n’a pas justifié l’urgence absolue de sa mesure d’expulsion ».

« Je ne veux pas imposer à la France des Algériens en situation irrégulière », a-t-il précisé en rappelant que l’Algérie a « accordé 1 800 laissez-passer consulaires l’année dernière ». Or, « il faut respecter les procédures légales ».

« Nous aimerions aussi que la France accède à nos demandes d’extradition comme l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne », a-t-il ajouté, en signalant que « curieusement, Paris donne la nationalité ou le droit d’asile à des personnalités qui ont commis des crimes économiques ou qui se livrent à de la subversion sur le territoire français ». « Certains, d’après nos informations, ont même été recrutés par vos services comme informateurs », a-t-il enchainé.

Marine Le Pen, une « analphabétise »

Abdelmadjid Tebboune a également répondu à une question relative à la dernière déclaration de Marine Le Pen qui a affirmé vouloir faire avec l’Algérie ce que Donald Trump a fait avec la Colombie. « Ce sont des –analphabétises— », a rétorqué le président de la République.

Selon lui, « les responsables du RN ne connaissent que l’utilisation de la force ». « Il y a encore dans l’ADN de ce parti des restes de l’OAS pour laquelle il fallait tout régler par la grenade et les attentats », a-t-il ajouté, en précisant que « les relations entre les Etats-Unis et la Colombie n’ont rien à voir avec les nôtres ».

« Les Américains n’ont pas colonisé l’Amérique latine. Et Donald Trump cherche à régler une question migratoire », a-t-il lancé, en affirmant : « Nous sommes conciliants, nous allons doucement, nous sommes prêts à dialoguer mais le recours à la force est un non-sens absolu ».

Pour ce qui est des 306 algériens que les autorités américaines veulent expulser, Tebboune dira que l’Algérie va les recevoir parce que « le président américain n’a pas d’arrière-pensée liée à l’immigration algérienne aux Etats-Unis alors que le programme du RN, depuis feu Jean-Marie Le Pen, s’attaque systématiquement à l’islam et à l’immigration, avec comme bouc émissaire l’Algérie ».

L’aide au développement française à l’Algérie…

Par rapport à l’information que certains politiques et médias, notamment de l’extrême droite, font véhiculer, relative à l’aide française au développement, le Président a affirmé qu’il s’agit de « l’ordre de 20 à 30 millions par an ».

Il a rappelé, à ce propos, que « le budget de l’Etat algérien est de 130 milliards de dollars » et que le pays « finance chaque année 6 000 bourses africaines pour venir étudier » en Algérie, et « une route de plus d’un milliard de dollars entre l’Algérie et la Mauritanie », comme il vient « d’effacer 1,4 milliard de dette à douze pays africains ».

« Nous n’avons pas besoin de cet argent qui sert avant tout les intérêts d’influence extérieure de la France », a-t-il déclaré.

Hôpitaux de Paris : « un contentieux estimé à 2,5 millions d’euros seulement »

De même, pour ce qui est des supposées factures non-payées avec les hôpitaux français, Tebboune a indiqué que « cela fait trois ans » que l’Algérie « attend une réunion avec les hôpitaux de Paris pour lever ce contentieux estimé à 2,5 millions d’euros, bien loin des chiffres avancés dans la presse française ».

Le président de la République a ajouté à ce propos que résolution a été prise « de ne plus envoyer » les malades en France.

« Ils vont dans d’autres pays européens, comme l’Italie, la Belgique ou encore la Turquie. C’est le résultat de toutes ces tracasseries que nous subissons. L’Algérie a toujours payé ses dettes, mais nous ne sommes pas prêts à honorer n’importe quelle facture. Il faut que l’accueil et la prise en charge soient justifiés », a-t-il précisé.

Accords de 1968, une « coquille vide »

Quant aux accords de 1968, et les demandes de leur annulation faites par des politiques français, et tout en précisant qu’ils « étaient historiquement favorables à la France qui avait besoin de main-d’œuvre », Tebboune, pour qui, cela constitue « une question de principe », a affirmé qu’il « ne peut pas marcher avec toutes les lubies ».

« Depuis 1986, les Algériens ont besoin de visas, ce qui annule de fait la libre circulation des personnes telle qu’elle est prévue dans les accords d’Evian. Ils sont donc soumis au règlement de l’espace Schengen. Certains politiciens prennent le prétexte de la remise en cause des accords pour s’attaquer à ces accords d’Evian qui ont régi nos relations à la fin de la guerre. Ces accords de 1968 sont une coquille vide qui permet le ralliement de tous les extrémistes comme du temps de Pierre Poujade », a-t-il dit à ce propos.

Boualem Sansal est « un problème pour ceux qui l’ont créé »

En dernier lieu, pour ce qui est de l’affaire dite Boualem Sansal, Abdelmadjid Tebboune a considéré que « Boualem Sansal n’est pas un problème algérien » et que « c’est un problème pour ceux qui l’ont créé ».

Affirmant que « jusqu’à présent, il n’a pas livré tous ses secrets », il a tenu à signaler que « d’autres cas de binationaux n’ont pas soulevé autant de solidarité ». Rappelant que « Boualem Sansal est d’abord algérien depuis soixante-quatorze ans », il a indiqué que celui-ci a « eu un check-up complet à l’hôpital » et « il est pris en charge par des médecins et sera jugé dans le temps judiciaire imparti ». « Il peut téléphoner régulièrement à sa femme et à sa fille », a-t-il ajouté.

Pour ce qui est de la possibilité de prononcer une grâce eu égard à son âge et à son état de santé, le Président dira : « Je ne peux présager de rien ».

 

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