Je souhaiterais en savoir plus en ce qui concerne l’exclusion des éditions Koukou lors de la 26e édition du SILA. (Outre le communiqué que vous aviez publié sur Facebook, est-ce qu’il y a eu par exemple des précisions de la part du commissariat du SILA quant au motif de votre exclusion, d’autant plus que le commissaire avait déclaré sur la chaîne 3 qu’il s’agissait du non respect du règlement du SILA.) ?
Dès réception du courrier du commissariat du Sila annonçant notre exclusion, je me suis rendu au siège du Comité d’organisation pour avoir des précisions. Quatre demandes d’audience pour rencontrer le commissaire sont restées sans réponses. J’ai envoyé également un courrier à la ministre de la Culture et des Arts, par le biais d’un huissier de justice, pour demander des explications, et attirer son attention sur les conséquences que cette forfaiture ne manquerait pas d’engendrer. La ministre n’a pas jugé utile de donner suite. J’ai entendu, comme vous, le commissaire du Sila dire à la chaine 3 qu’il s’agissait du « non respect du règlement intérieur« . Une explication trop vague pour être convaincante. Et à supposer qu’il y ait eu violation de notre part du « règlement intérieur du Sila », cela peut-il justifier une infraction beaucoup plus grave, la violation de la Constitution qui stipule dans son article 54 : « »L’activité des publications ne peut être interdite qu’en vertu d’une décision de justice ». Apparemment les censeurs anonymes sont assurés d’une imparable impunité. Ils sont au dessus des lois.
Est-ce que vous envisagez de lancer des poursuites judiciaires contre le commissariat du SILA ?
Pour l’instant, je suis en discussion avec des amis avocats. Nous prendrons une décision après avoir étudié les différents volets de la question.
Par rapport à votre exclusion en question, et sachant que beaucoup d’éditeurs comptent sur le SILA afin de promouvoir leurs dernières parutions, quelles seront les répercussions sur votre maison d’édition ?
Pour une maison d’édition, les recettes financières lors d’un Sila, c’est globalement 50% du chiffre d’affaires annuel. Les nouveautés prévues pour le Sila seront dans les librairies dès samedi 28 octobre. Ceux qui ont ordonné l’exclusion de Koukou Editions du Sila ont parié sur l’étranglement financier de l’entreprise. Nous sommes, en effet, contraints de revoir à la baisse le nombre de publications pour l’année 2024. Mais, par rapport à l’enjeu des atteintes aux libertés, et la liberté éditoriale n’est pas des moindres, cela reste secondaire. Malgré ces contraintes, que nos lecteurs se rassurent : notre ligne éditoriale ne subira aucune inflexion après cet incident.
Par rapport à votre exclusion du SILA 2023, certains font le lien entre cet incident et la couverture d’un des livres que vous avez édités, qui a été illustrée avec l’image d’une femme partiellement dévêtue. Pensez-vous que ça soit le cas?
Les chargés du service après-vente de notre exclusion du Sila multiplient les explications fantaisistes pour justifier la forfaiture. Pourquoi les censeurs ne donnent-ils pas les raisons à visage découvert ? La couverture que vous évoquez est celle des mémoires de la Moudjahida Mme Zoulikha Bekadour qui a pour titre « Ils ont trahi notre combat ! ». Ce livre a été édité en 2015, exposé au Sila pendant toutes ces années, et actuellement toujours disponible en librairie, sans poser le moindre problème. Je vous rappelle que lors du Sila 2022, une douzaine d’ouvrages de notre catalogue ont été la cible de la censure, et aucun de ces livres n’a pourtant de femme « dévêtue » sur sa couverture ! Mais la « Commission de lecture » du ministère de la Culture n’est pas à une outrance près. N’a-t-elle pas interdit, en 2017, une biographie de Malcolm X, le leader noir américain pour les droits civiques, au motif qu’il s’agirait de « pornographie » ? A ce stade avancé dans le délire , cela ne relève plus du débat public mais de la psychiatrie.
Dans le communiqué que vous avez publié sur votre page Facebook, vous avez mentionné les années 2016, 2018 et 2022 où plusieurs incidents se sont intensifiés en ciblant les éditions Koukou ; pourquoi à votre avis ? Et y a-t-il eu des suites ?
C’est une bonne question qu’il faut poser aux censeurs pour les amener à s’expliquer sur leur acharnement et sur ces violations récurrentes de la légalité. Une légalité que nous opposons à chaque fois aux censeurs hors-la-loi. C’est sans doute grâce à notre respect strict de la légalité dans notre ligne éditoriale et dans nos publications, qu’il n’y a pas eu, du moins jusque-là, de suites fâcheuses.
A la suite de votre communiqué annonçant votre exclusion du SILA, une vague de soutien vous a été attribuée ; certains intellectuels ont même appelé au boycott. Votre avis là-dessus ?
Les messages de soutien qui nous parviennent à travers les réseaux sociaux sont un signe de vigueur de la société ; malgré la répression et les emprisonnements pour délit d’opinion, elle continue de résister, même symboliquement. C’est à l’honneur de ces intellectuels, de ces journalistes et des citoyens d’avoir brisé le mur de la peur en appelant au boycott ou à d’autres actions pacifiques, même symboliques. Toutefois, le boycott ne peut être efficace que s’il est massif. Dans l’état actuel de reflux des luttes démocratiques, cela ne me semble pas réaliste.
Au-delà de l’exclusion arbitraire qui a ciblé Koukou Editions, nous venons de franchir un cap dangereux dans les provocations liberticides. Après la fermeture de tous les espaces de libre expression, y compris les cafés littéraires, est-ce le tour des maisons d’éditions indépendantes ?