Il est 6h42. À peine la lumière du jour commence à effacer l’ombre de la nuit, c’est la ruée devant le service consultation COVID-19 de l’hôpital Mustapha Pacha à Alger. Déjà 21 personnes sont inscrites dans la liste accrochée au mur. Mohamed, 50 ans, est le dernier à s’y inscrire. Glissé dans son blouson pour affronter le froid glacial, les ses yeux fuient dans tous les sens à la recherche d’un coin non occupé par les patients. Pour lui, il est sûr que certains d’entre-eux sont contaminés.
Juste à côté du service consultation, le service contrôle. C’est là que les personnes, renvoyées chez elles après avoir été confirmées positives au virus, reviennent au bout de quelques jours pour un suivi. Une liste est aussi collée à l’entrée du service. À peine sept heures du matin et 19 personnes attendent déjà.
Alors que plusieurs personnes sont dispersées un peu partout autour du service pour essayer de faire respecter la distanciation sociale, une femme, la petite quarantaine, masque au visage et gants à la main, attend toute seule, debout juste devant l’entrée dont la porte est encore fermée.
Diagnostiquée positive au virus il y a dix jours, elle est revenue ce mardi pour un contrôle. « J’ai été diagnostiquée positive au coronavirus il y a dix jours. On m’avait prescrit des médicaments et demandé de rentrer à la maison et de revenir pour un contrôle au bout de dix jours, mon cas ne nécessitait pas une hospitalisation », nous a-t-elle confié.
C’est pareil partout dans le pays. Des centaines de citoyens affluent quotidiennement aux différents services de dépistage de coronavirus. Une fois confirmés positifs, certains sont renvoyés chez eux avec une liste de médicaments à acheter dont pour la plupart des vitamines, d’autres sont hospitalisés. Mais même ceux qui semblent, au début du diagnostique hors du danger, pourraient nécessiter une hospitalisation. Un luxe de plus en plus inaccessible.
En effet, sur les réseaux sociaux, des internautes en détresse sollicitent des bouteilles d’oxygène pour leurs proches atteints. D’autres supplient carrément pour un lit dans les services de réanimation qui sont « saturés » ces derniers jours.
« Nos services dédiés aux patients covid a l’hôpital (Birtraria ) Djillali Belkhenchir sont saturés on hospitalise des patients en détresses qui nécessitent des soins intensifs dans une unité non équipée et qui ne répond pas aux besoins des malades, par faute de service de réanimation. La moyenne d’âge des patients 45-50 ans ».
Ce statut, diffusé sur Facebook par une médecin au service de réanimation à l’hôpital de Bitraria, a été partagé par plus de 600 personnes. Preuve que l’on se reconnaît dans ce constat amer.
On n’espère pas mieux à l’EPH de Bainem, où le service de réanimation travaille au-dessus de ses moyens. Initialement conçu pour une capacité de cinq lits, le service accueille actuellement sept patients.
C’est ce que nous a révélé, Athmane Ayaden, médecin au dit EPH. Contacté par interlignes, ce jeune médecin, nous raconte son quotidien dans un service de réanimation qu’il qualifie de « dernier rempart » pour les personnes atteintes.
« Actuellement, la pression sur le service des soins intensifs est énorme notamment avec l’arrivé de cette deuxième vague qui est plus virulente », a-t-il déploré.
Athmane Ayaden, à l’image d’autres professionnels de la santé, essaye de sensibiliser sur les réseaux sociaux contre les dangers de cet « ennemi invisible ». À la première ligne de lutte contre la pandémie qui fêtera dans trois mois son premier anniversaire en Algérie, plusieurs détaillent leurs heures de garde sur les réseaux sociaux avec l’espérance de ramener les citoyens à la raison.
« Nous n’avons pas les moyens », « la deuxième vague et plus virulente », « respectez les gestes barrières », « pensez à nous », lancent-ils sur leurs comptes virtuels.
Deuxième vague
L’Algérie a enregistré ce mardi une hausse record de cas quotidiens avec 753 contaminations enregistrées en 24h. Le nombre de personnes en soins intensifs a aussi augmenté pour atteindre 63. Cette hausse intervient alors que plus de dix millions d’élèves ont repris l’école et que la prière du vendredi est à nouveau autorisée.
Pourtant, face à cette recrudescence, plusieurs citoyens questionnent s’il s’agit réellement d’une deuxième vague ou d’une simple hausse de cas comme celle connue il y a deux mois.
« Quand on voit le nombre de consultations et d’hospitalisation qui a augmenté de façon drastique et les autres services qui sont reconvertis en service covid, il faut vraiment se voiler la face pour dire qu’on n’est pas devant une deuxième vague », s’est insurgé Athmane Ayaden à Interlignes.
Les responsables du pays ne nient pas non plus l’ampleur du danger. Le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid a lui-même affirmé lors de ses précédentes sorties médiatiques que cette deuxième vague s’annonce plus « virulente » et « féroce » que la première.
Le premier, ministre, Abdelaziz Djerad, est du même avis. Pourtant, le gouvernement s’attarde à prendre les actions de lutte adéquates. Jusqu’à l’heure, les mesures annoncées ne semblent pas soulager les craintes des professionnels de la santé.
Dimanche, après avoir élaboré un « plan d’urgence », le premier ministère a annoncé le réaménagement des horaires de couvre-feu qui seront désormais appliqués de 20h00 au lendemain 5h00 dans 29 wilayas. Pour les professionnels, ces mesures « ne sont pas assez ». Ils appellent les autorités à les durcir « avant qu’il ne soit trop tard ».
S’exprimant sur la rentrée scolaire qui pourrait être à l’origine de nouveaux clusters de contaminations, les responsables du secteur sanitaires ont écarté la fermeture des établissements scolaires tout en appelant à « co-exister » avec le virus. Pour les professionnels, ces mesures « ne sont pas assez ».
Pendant ce temps-là, sur la Toile, les internautes ironisent sur l’efficacité du couvre-feu contre le coronavirus. Pour eux, si cette mesure n’a pas réussi à freiner la première vague, elle sera tout aussi « inefficace » face à la deuxième que les responsables qualifient de plus « féroce ».
« Homicide volontaire »
Dans le « plan d’urgence », élaboré par le premier ministère, pour lutter contre la pandémie de coronavirus, Abdelaziz Djerad entend également revoir la stratégie de communication du ministère.
Ce plan d’action sera articulé autour de trois axes, à savoir “le renforcement des mesures de prévention dans ses volets sanitaire et sécuritaire, une stratégie de communication plus efficiente et une sensibilisation plus forte envers les citoyens et l’application rigoureuse des mesures coercitives réglementaires”, a détaillé le chef du gouvernement à travers un communiqué.
Mais si certains pointent les lacunes dans la stratégie de communication des autorités face au relâchement dans le respect des mesures de prévention, d’autres estiment qu’il s’agit d' »égoïsme » et « irresponsabilité » chez les citoyens.
« Si quelqu’un a les symptômes, mais conclut qu’il s’agit d’une simple grippe et sort dehors, il commet un homicide volontaire », a condamné Athmane Ayaden. « La pandémie est là depuis des mois, ce n’est plus un problème de communication ».
Avec l’inconscience de bon nombre de citoyens et la lenteur des autorités à prendre les mesures adéquates, les Algériens retiennent leur souffle face à la recrudescence exceptionnelle de cas.
« Peut-être qu’ils prendront les mesures adéquates à l’arrivée de la troisième vague », a ironisé l’un des internautes au milieu des campagnes de sensibilisation.