Un énorme incendie s’est déclaré jeudi dans un entrepôt du port de Beyrouth, provoquant la panique parmi des Libanais encore sous le choc de l’explosion meurtrière et dévastatrice qui a traumatisé la capitale il y a cinq semaines.
Près de cinq heures après l’intervention de la défense civile et des hélicoptères de l’armée pour combattre les flammes, le feu brûlait toujours en fin d’après-midi après s’être propagé vers un deuxième hangar. Le ciel de Beyrouth s’était recouvert d’une épaisse fumée noire, visible depuis plusieurs quartiers de la capitale.
Selon des « informations préliminaires », des « réparations » étaient menées sur le site avec une scie électrique, dont les « étincelles » ont entraîné « le déclenchement d’un incendie », a annoncé dans un communiqué le ministre des Transports et des Travaux publics, Michel Najjar.
Le feu a touché « un entrepôt où sont stockés des bidons d’huile et des pneus de voiture dans la zone franche du port de Beyrouth », avait auparavant rapporté l’armée.
L’incident est venu rappeler aux Libanais la funeste journée du 4 août, quand une énorme quantité de nitrate d’ammonium stockée au port a explosé. Ce drame, la tragédie de trop pour une population déjà mise à genoux par une grave crise économique, a fait plus de 190 morts et 6.500 blessés, dévastant des quartiers entiers de Beyrouth.
Craignant une réédition du scénario catastrophe, les employés du port et les habitants des quartiers environnants ont déserté jeudi les lieux. « On était en train de travailler, et soudain il y a eu des cris, pour nous dire de sortir », raconte à l’AFP Haitham, un des employés de l’entrepôt touché par l’incendie.
« Il y avait des travaux de soudure en cours, puis les flammes se sont déclarées, on ne sait pas ce qui s’est passé », ajoute-t-il. Sur les réseaux sociaux, des internautes ont vu dans l’incendie de jeudi une nouvelle preuve de l’incurie de la classe politique, accusée de corruption et d’incompétence, contestée par la rue et déjà jugée responsable du drame du 4 août. « Nous ne pouvons pas gérer un nouveau traumatisme », a réagi sur Twitter une internaute.
« Où vivons-nous? »
Le parquet a ordonné l’ouverture d’une enquête. Le président Michel Aoun a convoqué une réunion du Conseil supérieur de Défense à 19H00 (16H00 GMT).
Justifiant la durée des opérations jeudi, le chef de la défense civile Raymond Khattar a expliqué que des « matériaux inflammables comme le caoutchouc et les huiles » nécessitaient « du temps pour être éteints complètement ».
Il s’agit du deuxième incendie en quelques jours dans le port. Mercredi, des monticules de déchets, de bois et de pneus avaient déjà pris feu.
Des députés sont montés au créneau, allant même jusqu’à dénoncer une tentative des autorités d’enterrer d’éventuelles preuves en lien avec le drame du 4 août.
« Si le feu aujourd’hui a été provoqué, c’est indéniablement pour cacher quelque chose (…), empêcher les enquêteurs de procéder à des analyses et de recueillir davantage de preuves », a écrit le député Neemat Frem sur Twitter.
Les autorités libanaises rejettent toute enquête internationale sur l’explosion du 4 août. « Où vivons-nous? C’est le théâtre d’un crime qui a eu lieu il y a un mois! Où est la justice? Où est l’Etat? », s’est indigné sur Twitter Omar Nachaba, chercheur en criminologie.
Sans précaution
La présidence française a dit suivre « la situation de près ». « La France a des moyens sur place, nous sommes évidemment prêts à répondre aux besoins si nécessaire », a précisé l’Elysée.
Le drame du 4 août avait été provoqué par une importante quantité de nitrate d’ammonium stockée depuis plus de six ans « sans mesures de précaution », de l’aveu même des autorités. Quelque 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium avaient été initialement entreposées.
L’explosion était venue attiser la colère de la population, déjà exaspérée par une classe dirigeante quasi inchangée depuis des décennies.
Les principaux dirigeants de l’Etat, en premier lieu le président Michel Aoun et le Premier ministre démissionnaire Hassan Diab, avaient été avertis des dangers que représentait cette cargaison. Face à l’indignation populaire, les dirigeants se sont rejeté la responsabilité.
Jeudi dans le cadre de l’enquête, le ministre Michel Najjar et le chef de la Sûreté d’Etat Tony Saliba ont été entendus comme témoin par le juge d’instruction Fadi Sawan. Au total, près de 25 personnes ont été arrêtées après le drame du 4 août, parmi lesquelles des hauts dirigeants de l’administration et de la sécurité du port.