Entretien avec le Dr Lyes Merabet: « 22 médecins sont décédés du coronavirus depuis le début du mois d’août »

Les chiffres avancés quotidiennement par le ministère de la Santé témoignent d’un net recul dans le nombre de contaminations après plusieurs semaines de hausse. Dans cet entretien, le président du Syndicat National des Praticiens de Santé Publique (SNPSP), le Dr Lyes Merabet confirme que les hôpitaux connaissent un certain soulagement comparativement aux semaines passées. Il appelle toutefois à tirer des leçons de la troisième vague et à ne pas baisser la garde face à ce virus qui est toujours en circulation et qui emporte encore la vie des citoyens dont la celle de 22 médecins depuis le début du mois d’août seulement.

Le nombre de contaminations enregistre un recul ces derniers jours, les hôpitaux algériens ont-ils pu souffler ou font-ils toujours face à la même pression ? 

« Non certainement, la situation est en train de reculer. Je le confirme à travers les chiffres qui sont annoncés officiellement. Il y a aussi le constat que nous faisons sur le terrain. Dans pas mal de wilayas et de structures, nos collègues sont témoins. Il y a moins de malades au niveau des consultations, au niveau des pavillons des urgences, mais aussi au niveau des services d’hospitalisations et des réanimations. La situation est en train de se stabiliser de manière qui n’est pas uniforme, mais ça, c’est normal parce que la pandémie lorsqu’elle commence à diffuser, elle va aller crescendo et elle va gagner des territoires au fur et à mesure que l’épidémie avance. Ça a commencé au niveau des wilayas du Centre notamment à Alger, Blida, Sétif, Constantine, Batna Tizi-Ouzou et Béjaia et ensuite ça s’est étendu à d’autres wilayas notamment à l’Intérieur et dans la région Ouest. Et là, nous sommes en train de constater que la calmé a commencé justement dans les premières wilayas touchées. Il y aura donc un décalage d’une à deux semaines avant de toucher les wilayas de l’Intérieur et les wilayas de l’Ouest où la situation est encore instable. Je cite notamment Laghouat et Djelfa.»

Qu’en est-il de l’oxygène médical, les hôpitaux sont-ils toujours en manque ?

« La situation s’est améliorée. Selon les échos que nous avons à travers nos collègues notamment à Laghouat et Djelfa il y a toujours une tension sur la disponibilité de l’oxygène. Mais dans les autres wilayas comme à Alger et Blida, la situation s’est nettement améliorée et ça s’explique par le fait qu’il y a moins de malades donc la consommation a baissé. Et il y a aussi, il faut le dire, des démarches qui ont été entreprises du côté des autorités sanitaires, mais aussi du côté des citoyens. Il y a beaucoup qui se sont mis à aider, à ramasser de l’argent et à acheter des concentrateurs d’oxygène pour dispenser les services hospitaliers. D’autres se sont mis à mettre en place des générateurs d’oxygène et c’est ça la solution idéale pour l’ensemble des établissements hospitaliers. Il faudrait que chaque hôpital soit doté d’un générateur d’oxygène au moins pour assurer une autonomie par rapport au besoin notamment en dehors du covid-19.»

Plus de quarante médecins ont succombé à leur infection durant le mois de juillet, à combien s’établit le chiffre depuis le début du mois d’août ?

«Chaque jour il y a des nouveaux cas qui nous sont annoncés. Mais depuis le début août jusqu’à présent, on est à 22 cas de décès malheureusement. Sur l’ensemble de cas recensés depuis le début de la pandémie en février 2020 jusqu’à aujourd’hui, nous sommes sur un chiffre de 302 cas médecins répartis à 50% pour le secteur public et 50% pour le secteur privé. Toutes les spécialités sont concernées mais la majorité sont des médecins généralistes. C’est vraiment une hécatombe parmi le personnel soignant et notamment le corps médical. Sur 470 cas de décès pour tout le personnel soignant nous avons 302 cas qui concernent les médecins. Pour le nombre d’infections, nous sommes aux alentours de 30.000 cas d’infection.»

Quelles sont les leçons à tirer de cette troisième vague ?

« On doit toujours se préparer au pire des scénarios. Il faut anticiper les situations notamment en ce qui concerne l’organisation pour maintenir la continuité des soins et la prise en charge pour les autres pathologies. Il faut identifier un circuit pour la covid-19 à travers les consultations et le suivi des malades qui sont déjà sous traitement à travers l’exploration pour assurer un diagnostic rapidement et le suivi des malades à domicile. On a été défaillant dès le départ parce que le système de santé n’a jamais été organisé efficacement. Il faut aussi revoir la coordination entre le secteur public et privé qui pose toujours problème. Il y aussi beaucoup à dire dans la mise en place des protocoles sanitaires même s’ils ont été imposés par la loi. Des fois, les conditions n’étaient pas réunies, les moyens n’ont pas suivi et surtout le contrôle et l’application dans toute sa rigueur des lois de la république a fait beaucoup défaut. Il a été laissé aux gens de s’organiser au gré des événements, au gré des moyens et ça ce n’est pas normal. Au niveau personnel, la leçon à retenir, c’est la nécessité de rester vigilants et d’observer scrupuleusement ce qui se passe autour de nous. Il faut aussi être dans le respect des mesures barrières. C’est un engagement citoyen qu’il faut ramener au sommet du civisme que nous devons manifester. Il faut aussi repenser notre manière d’agir et manière de faire par rapport aux enquêtes épidémiologiques parce qu’elles sont importantes. Il faut aussi tirer des leçons de la pénurie d’autres médicaments dont le lovenox, la vitamine C et le zinc. Les gens achetaient pour créer un stock au cas où. C’est pareil pour les concentrateurs d’oxygène et leurs accessoires.»

La vaccination nous maintiendra-t-elle à l’abri d’une vague plus meurtrière?

« Il faut réussir la campagne vaccinale et arriver à couvrir d’ici la fin de l’année 50% de la population et pourquoi pas, pour le premier trimestre de 2022, arriver à 70 ou 80% de la population à condition qu’on mobilise tout le personnel. Tout le monde peut faire cet acte très simple. Les médecins généralistes, les pharmaciens, les dentistes, les techniciens de labo, la sage-femme, tout ce beau monde est formé pour faire réaliser une injection intramusculaire. Le secteur privé a aussi une ressource humaine importante qui doit être mobilisée. Pour ce faire, il faut avoir la quantité suffisante de vaccins et les structures doivent être dotées en quantités et régulièrement. Je suis convaincu que c’est la vaccination qui nous maintiendra à l’abri d’une vague plus meurtrière. Les pays qui ont réussi le pari de la vaccination enregistrent moins de cas de décès et de formes graves. C’est pour ça qu’il n y a pas de pression sur les hôpitaux. Même si on doit être confronté à une nouvelle vague de la pandémie, peut-être que nous allons avoir toujours des milliers de cas de contaminés, mais nous allons gagner en matière de protection pour les cas graves. L’objectif de la vaccination n’est pas de garantir aux citoyens de ne pas tomber malades, mais surtout de garantir cette protection contre les formes graves et donc l’hospitalisation. »

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