Le président français Emmanuel Macron a nommé Premier ministre jeudi 5 septembre 2024 l’ex-négociateur en chef de l’Union européenne pour le Brexit Michel Barnier, 73 ans, du parti « Les Républicains (LR) », après soixante jours de suspense consécutifs aux élections législatives de juillet, qui avaient débouché sur une Assemblée nationale dépourvue de majorité, mais dont le Nouveau front de gauche est arrivé en tête.
Le plus vieux Premier ministre de la Ve République – le régime politique en vigueur en France depuis 1958 – succède ainsi au poste de chef du gouvernement à Gabriel Attal, 35 ans, qui en était le plus jeune.
Doté d’une solide expérience politique en France comme à Bruxelles, Michel Barnier est réputé bon médiateur : il a été le négociateur de l’UE lorsque le Royaume-Uni a quitté le bloc continental. Avant cela, il a été ministre sous les couleurs de la droite à plusieurs reprises depuis 1993, notamment sous les présidences de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy.
Emmanuel Macron « l’a chargé de constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays et des Français », a déclaré la présidence dans un communiqué.
Le chef de l’Etat « s’est assuré que le Premier ministre et le gouvernement à venir réuniraient les conditions pour être les plus stables possibles et se donner les chances de rassembler le plus largement », a-t-elle ajouté.
Michel Barnier devra ainsi user de toutes ses qualités diplomatiques pour former un gouvernement susceptible d’échapper à la censure parlementaire et mettre fin à la plus grave crise politique de la Ve République.
Une tâche aux allures de mission impossible, tant aucune coalition viable n’a jusqu’ici émergé.
L’Assemblée issue des législatives de juillet – convoquées après la dissolution de la chambre basse décidée par le chef de l’Etat, dans le sillage d’une déroute de sa majorité aux élections européennes – est fragmentée en trois blocs : gauche, centre droit et extrême droite.
« L’élection a été volée aux Français »
Sa nomination a de fait suscité des commentaires courroucés à gauche, première force de l’Assemblée, qui réclamait le poste de chef du gouvernement. « Nous entrons dans une crise de régime », a estimé sur X le patron des socialistes Olivier Faure, dénonçant un « déni démocratique porté à son apogée : un Premier ministre issu du parti qui est arrivé en 4e position », en référence au parti de droite Les Républicains dont M. Barnier est membre.
« L’élection a été volée aux Français », a de son côté déploré le leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon. « C’est la personnalité la plus proche des positions » du Rassemblement national (RN), le parti d’extrême droite, a-t-il encore jugé.
Pour l’ex-député du Nord Fabien Roussel, la nomination de Michel Barnier à Matignon est « un bras d’honneur aux Français qui aspirent au changement ». « Libéral, européiste, antisocial, [Michel] Barnier est aux antipodes du message envoyé par les Français aux législatives », a réagi le secrétaire national du Parti communiste, jeudi sur X.
Le Parti socialiste censurera le gouvernement de Michel Barnier
« Michel Barnier ne dispose ni de la légitimité politique, ni de la légitimité républicaine. Cette situation d’une extrême gravité n’est pas acceptable pour les démocrates que nous sommes. C’est pourquoi le groupe socialiste censurera le gouvernement de Michel Barnier », a fait savoir le Parti socialiste (PS) dans un communiqué.
Selon le PS, « Emmanuel Macron va abîmer encore un peu plus [la] démocratie. En refusant de désigner comme premier ministre une personnalité issue du Nouveau Front populaire, coalition de gauche pourtant arrivée en tête des élections législatives, Emmanuel Macron tourne la page d’une tradition républicaine partagée et respectée jusqu’alors dans notre pays. En imposant à la tête du gouvernement, le représentant d’une force politique sortie vaincue des dernières élections législatives, qui a recueilli moins de 10 % des suffrages, il piétine le vote des Françaises et des Français », détaille le communiqué.
L’extrême droite va « juger sur pièces »
Depuis quelques semaines, le RN, sorti groggy en juillet des législatives dont il se voyait un mois plus tôt le grand vainqueur après son triomphe aux européennes de juin, semble en effet s’être mué en faiseur de rois. Le barrage républicain aux législatives qui avait consacré l’échec de l’extrême droite, arrivée en 3e position après la gauche et le centre droit, ne semble plus qu’un lointain souvenir.
A la faveur des atermoiements présidentiels pour le poste de chef de gouvernement, – Emmanuel Macron tenant à un Premier ministre qui ne succombe pas immédiatement à une motion de censure et qui ne détricote pas non plus ses réformes, notamment celle des retraites, à laquelle la gauche était hostile -, le RN s’est transformé en « arbitre des élégances », selon un pilier de la majorité.
La patronne du RN Marine Le Pen a ainsi torpillé la nomination d’un autre candidat du LR, l’ex-ministre Xavier Bertrand, son adversaire politique historique dans le nord de la France. Concernant Michel Barnier, qui en 2022 prônait un « moratoire » de 3 à 5 ans sur l’immigration, l’extrême droite a indiqué qu’elle jugerait sur pièces son discours de politique générale, avant de se déterminer sur une éventuelle censure de son gouvernement.
En attendant, les ministres démissionnaires vont eux rester en fonctions pour continuer de gérer les affaires courantes le temps de négociations avec les partis que beaucoup prédisent longues et difficiles. Le temps presse pour former un gouvernement de plein exercice, le budget 2025 devant être déposé au Parlement le 1er octobre au plus tard.