La Cour des comptes a publié, ce samedi 2 décembre 2023, son rapport annuel pour l’année 2023 qui « reprend les principaux résultats des travaux de contrôle réalisés par la Cour, au titre de son programme d’activité de contrôle pour l’année 2021 ». Un rapport qui comprend « 12 notes d’insertion et 34 recommandations, classées dans trois parties, relatives respectivement aux administrations de l’Etat, aux collectivités locales et aux établissements et entreprises publics ».
Dans ce document, la Cour des comptes a mis l’accent, donc, sur deux programmes de réhabilitation et de modernisation publics initiés par l’Etat en faveur du secteur public économique, à savoir le programme de réhabilitation et de modernisation des structures touristiques relevant du groupe public hôtellerie, tourisme et thermalisme (HTT), et celui portant restructuration, développement et régulation du marché de la filière des viandes rouges à travers la restructuration du portefeuille du groupe Agro-Logistique (AGROLOG).
Pour ce qui est des collectivités locales, la Cour s’est penchée sur le projet de la ceinture verte reliant les deux villes de Ouargla et Touggourt et du transport scolaire. Sur un autre plan, le rapport évoque, entre autres, les cas de deux entreprises publiques, à savoir l’office national des publications scolaires (ministère de l’éducation nationale) et la banque de développement local (BDL).
« Au titre des établissements et entreprises publics, les évaluations effectuées ont, surtout, fait part des déficiences ayant trait à l’organisation et au contrôle interne dans les entités contrôlées et dont les effets ont impacté négativement la réalisation de leurs missions statutaires et l’atteinte de leurs objectifs en termes de performance. Ce constat a concerné en particulier deux (02) établissements publics à caractère industriel et commercial, représentés par l’office national des publications scolaires (ministère de l’éducation nationale) et l’agence nationale de l’urbanisme (ministère de l’habitat, de l’urbanisme et de la ville), en plus d’une (01) entreprise publique économique, à savoir : la banque de développement local (BDL) », indique la Cour des comptes.
La BDL : problématique de recouvrement des impayés
Ainsi, ce rapport, avec sa partie consacrée à cette banque publique, intervient à un moment où l’exécutif s’apprête à lancer une opération d’ouverture de son capital. « Du point de vue prudentiel, à fin décembre 2021, la banque de développement local a enregistré un volume de créances non performantes d’un montant de 364,29 Mrds de DA, représentant 33,5% de l’encours total brut des crédits à la clientèle. Cette catégorie de créances est composée pour deux tiers d’impayés. La banque ne recouvre qu’une infime partie de ces impayés, d’où l’incidence négative sur sa situation financière et ses résultats d’exploitation, précise la Cour.
Son contrôle, portant sur les conditions de recouvrement des créances commerciales, a révélé « une hausse continue de la proportion des impayés dans l’encours total brut des crédits à la clientèle tout au long de la période 2019 à 2021, en raison d’une augmentation des créances non performantes ». Ceci, sachant que « les encours de crédit accordés aux dispositifs aidés et aux entreprises privés affichent des taux élevés d’impayés, respectivement de 70,88% et 18,87% des encours correspondants, à fin 2021 ».
« De façon plus générale, en vertu des règles prudentielles, les créances compromises (classées en C3) du secteur privé dont le recouvrement est considéré comme compromis et qui constituent des contentieux complexes préjudiciables à la banque, représentent un peu plus de 30% de l’ensemble des engagements sur ce secteur », a ajouté la Cour des comptes.
Une situation, précise-t-elle encore, « favorisée par les déficiences liées aux conditions de fonctionnement des services de recouvrement dont les tâches et les responsabilités ne sont pas suffisamment définies et formalisées à la lumière de la nouvelle organisation mise en place, au cours de la période 2016 – 2020, et des changements qui sont intervenus par la suite dans l’administration interne ». De surcroît, « le volet recouvrement des créances n’est pas bien organisé, ni suffisamment intégré au système d’information de la banque, d’où les difficultés de la direction de recouvrement des créances à utiliser les données comptables générées par la base de données aux fins de maximiser le recouvrement ».
La Cour fait remarquer que « les mesures prises par la banque d’Algérie, à la suite de la pandémie de la COVID-19, et d’autres conditions conjoncturels favorables ont, certes, contribué à une amélioration sensible des résultats financiers de la banque de 2020 et 2021, mais ces mesures temporaires seraient insuffisantes pour parer aux faiblesses structurelles internes qui risquent d’être amplifiées du fait de l’aggravation des créances classées nécessitant un provisionnement significatif ».
En somme, l’institution de contrôle recommande qu’ « en vue d’assurer une gestion efficace des recouvrements et de réduire le volume des créances impayées, la banque est invitée à développer davantage le métier de recouvrement des créances, à travers notamment le renforcement de l’organisation et des procédures internes en matière de gestion et de suivi des créances impayées et l’accélération de l’automatisation des tâches et des pratiques de recouvrement des créances ».
A noter que dans sa réponse, le Directeur général de la BDL a évoqué, pour expliquer cette situation, entre autres, « l’importance des impayés relatifs aux dispositifs aidés (ANSEJ, ANGEM et CNAC), accentuée par le gel des poursuites judiciaires décidé par les pouvoirs publics depuis 2019 ». Il a indiqué, par ailleurs, qu’ « en dépit de l’augmentation des impayés, conséquence de la conjoncture de la période 2019-2021, relative à certains critères exogènes, des efforts louables ont été déployés par la banque notamment par les équipes chargées du recouvrement, qui ont été concrétisés par un niveau de recouvrement de 25 milliards de DA au cours de l’exercices 2022, sans tenir compte des recouvrements des impayés de moins de 90 jours, contre 18,1 milliards de DA enregistrés durant l’exercice 2021 ».
Des « lacunes » dans la mise en œuvre du programme de la réhabilitation des hôtels et des surcoûts
« Dans sa partie réservée aux administrations de l’État, le rapport annuel de la Cour des comptes a mis en exergue de nombreuses lacunes ayant trait à la mise en œuvre de deux (02) programmes de réhabilitation et de modernisation publics initiés par l’Etat en faveur du secteur public économique avec comme conséquence la faiblesse des résultats obtenus au regard des plans d’investissement mobilisés, incluant des concours définitifs du Trésor public et des crédits bancaires à des taux bonifiés ». L’un de ces deux projets concerne « le programme de réhabilitation et de modernisation des structures touristiques relevant du groupe public hôtellerie, tourisme et thermalisme (HTT) qui a pour objectif leur mise à niveau aux normes internationales ».
Ainsi, la Cour signale que « plus de 11 ans après son adoption par le Conseil des participations de l’Etat (CPE) en 2012, le programme de réhabilitation et de modernisation (PRM) des structures relevant du portefeuille du groupe hôtellerie, tourisme et thermalisme (HTT), n’a pas atteint les objectifs escomptés, consistant notamment à mettre à niveau les structures hôtelières et touristiques du groupe aux normes internationales en vue du développement de leur activité et leur rentabilité ».
A cet effet, « il ressort de l’évaluation de la Cour que les faiblesses des études technique et économique du PRM dont l’élaboration a été effectuée dans la précipitation et sans recours aux bureaux d’étude spécialisés, son mode de financement inadapté, l’absence d’une gouvernance et d’une supervision à la hauteur du programme et les déficiences caractérisant les procédures de contrôle interne en particulier celles applicables aux marchés des filiales sont autant de facteurs qui ont entravé sa mise en œuvre ». Il est mis en exergue, « l’absence de planning de lancement des projets permettant le maintien d’un minimum d’activité des unités hôtelières, des retards et des déviations dans la sélection des cocontractants et la mise en œuvre des contrats, et le recours excessif aux avenants dont certains ont été conclus hors délais contractuels ».
En conséquence, « l’objectif principal du PRM, à savoir la réhabilitation et la modernisation de 61 unités et la réalisation de 02 nouvelles unités, n’a été réalisé qu’à hauteur de 43% ». De plus, « cela a été accompagné par un accroissement exorbitant du coût de sa réalisation, passant de 74 Mrds de DA à 126 Mrds de DA, une prorogation considérable des délais d’exécution notamment les travaux de réhabilitation et de modernisation du bâti existant, sans compter le nombre important de contrats en contentieux pour cause de défaillance des entreprises de réalisation ».
La Cour recommande donc de « réfléchir à d’autres voies juridiques et économiques spécifiques à la gestion publique, notamment celles offertes par les ressources du partenariat public-privé ».
Le transport scolaire: des communes qui n’arrivent pas à supporter le coût de la prestation
Pour ce qui est des collectivités locales, la Cour des comptes a indiqué que le contrôle effectué par ses soins, portant sur les conditions de mise en œuvre du transport scolaire dans un échantillon diversifié de communes (des communes de plusieurs wilayas du pays ont été citées), localisées en zones urbaines, périurbaines et rural, précise-t-elle, fait apparaître qu’ « en dépit des efforts déployés par les pouvoirs publics pour répondre aux besoins en matière de moyens de transport scolaire, la mise en œuvre de ce service social scolaire demeure en deçà des règles prévues par le nouveau dispositif réglementaire le régissant ».
« De nombreuses communes tardent à mettre en place les organes de concertation prévus par la réglementation et à assurer leur fonctionnement régulier tout comme elles n’ont pas adapté leur organisation pour une meilleure maîtrise de la programmation de la prestation de transport scolaire », indique-t-elle, en ajoutant que « la plupart des communes, particulièrement les plus démunies d’entre-elles n’arrivent pas à supporter le coût des prestations du transport scolaire en raison de l’insuffisance des subventions qui leur sont accordées, alors que d’autres éprouvent des difficultés à réunir les moyens nécessaires en matériels de transport et de ressources humaines (chauffeurs et accompagnateurs) ».
En conséquence, « ce service public n’est pas toujours assuré dans des conditions satisfaisantes en termes de confort et de sécurité, tel que prescrit par le cadre normatif en vigueur ». Dans cet ordre, la Cour recommande aux parties prenantes au transport scolaire d’ « intensifier leurs efforts pour mettre à niveau l’offre de transport scolaire disponible et la rendre plus conforme au cadre normatif prescrit par la réglementation en vigueur ».
Ceinture verte Ouargla – Touggourt : un projet qui a couté 1,874 Mrd DA à l’abandon
Toujours par rapport aux collectivités locales, la Cour a évoqué le projet de la première tranche de la ceinture verte reliant les deux villes de Ouargla et Touggourt.
Il est rappelé dans ce rapport que « le projet de réalisation d’une ceinture verte sur la route reliant les deux villes de Ouargla et de Touggourt a été initié par les autorités de la wilaya de Ouargla avec comme objectifs, notamment la protection de l’environnement, le développement de l’activité économique et la création d’espaces de détentes pour les citoyens ». Un projet « dont le coût de réalisation s’est élevé à 1,874 Mrd DA », qui « se trouve actuellement en état d’abandon et sujet à de multiples dommages dus aux facteurs climatiques, aux actes de vol et de pillage des installations et équipements réalisés et à l’utilisation de certains de ces équipements à des fins autres que celles pour lesquelles ils ont été destinés ».
A ce propos, la Cour des comptes recommande au ministre de l’intérieur, des collectivités locales et de l’aménagement du territoire de « réitérer l’attention des Walis sur l’obligation de réaliser des études approfondies avant le lancement des projets, afin de déterminer leur faisabilité et réduire, par la même, les risques et les incertitudes ainsi que les conséquences ruineuses liées à la réalisation des projets de cette envergure ».
Par ailleurs, « les autorités de la wilaya de Ouargla sont appelées à prendre les mesures adéquates en vue d’une exploitation des réseaux et équipements d’irrigation restants du projet ».
Il est à rappeler, en dernier lieu, que la Cour des comptes élabore annuellement un rapport relatif à la gestion financière des projets, structures et entreprises étatiques, en y incluant des « constatations et appréciations visent à favoriser une saine gestion et une utilisation performante des moyens et des ressources publics par les entités contrôlées ». Des « lacunes » sont relevées continuellement notamment pour ce qui est de la « maturation » des projets initiés même au niveau central ou de la réalisation de projets par les collectivités locales.