C’est la romancière française Annie Ernaux qui a remporté le prix Nobel de littérature 2022. L’écrivaine de 82 ans est récompensée pour « le courage et l’acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle », a expliqué le jury Nobel.
Prix Renaudot en 1984 pour « La Place » et finaliste du prestigieux prix Booker international en 2019, cette professeure de littérature à l’université de Cergy-Pontoise a écrit une vingtaine de récits dans lesquels elle dissèque le poids de la domination de classes et la passion amoureuse, deux thèmes ayant marqué son itinéraire de femme déchirée en raison de ses origines populaires.
Écrivaine revendiquée de gauche, Annie Ernaux se nourrit de la sociologie bourdieusienne dont la découverte dans les années 70 lui permet d’identifier le « mal-être social » qui la ronge dès son entrée dans une école privée dans les années 50.
Authenticité
En 2022, elle reprend ce récit avec des dizaines de films familiaux tournés par son ancien mari entre 1972 et 1981. « Les années super 8 » sont présentés à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes.
« Je me considère très peu comme un être singulier mais comme une somme d’expériences, de déterminations aussi, sociales, historiques, sexuelles, de langages et continuellement en dialogue avec le monde (passé et présent) », écrit-elle dans « L’écriture comme un couteau ».
Dès lors, l’écriture devient un moyen d’atteindre et de dire avec authenticité l’expérience intime de sa condition féminine modelée par Simone de Beauvoir : son dépucelage raté dans « La Honte » (1997) puis dans « Mémoire de filles » (2018), son avortement illégal vécu en 1963 comme une émancipation sociale dans « L’Evénement » (2000), l’échec de son mariage dans « La femme gelée » (1981) ou encore son cancer du sein dans « L’usage de la photo » (2005).
Jugée par ses détracteurs comme une écrivaine obscène et misérabiliste, elle choque par la description crue de l’aliénation amoureuse dans « Passion simple » (1992).
Origines modestes
Née en 1940, elle vit jusqu’à ses 18 ans dans le café-épicerie « sale, crado, moche, dégueulbif » de ses parents à Yvetot, en Haute-Normandie, dont elle va s’extraire grâce à une agrégation de lettres modernes obtenue à force d’un travail intellectuel intense.
Des « armoires vides » (1974) aux « Années » (2008), cette grande et belle femme blonde va suivre une trajectoire d’écriture qui la conduit d’un premier petit roman âpre et violent à cette généreuse autobiographie historique.
Dans « Les armoires vides », son héroïne décrit avec rage les deux mondes incompatibles dans lesquels elle évolue lors de son adolescence : d’un côté, l’ignorance, la crasse, la vulgarité des clients ivrognes, les petites habitudes minables de ses épiciers de parents et de l’autre « la facilité, la légèreté des filles de l’école libre » issues de la petite bourgeoisie.
« Écriture plate »
Au fil des récits tous publiés chez Gallimard, l’auteure va réparer la trahison qu’elle estime avoir commise envers ses parents en leur consacrant un portrait réconcilié dans « La Place » et « Une femme » (1988).
Son style clinique, dénué de tout lyrisme fait l’objet de nombreuses thèses. Par cette « écriture plate », elle convoque l’universel dans le récit singulier de son existence. Abandonnant très rapidement le roman, elle renouvelle le récit de filiation et invente l »autobiographie impersonnelle ».
La « saison » des Nobel s’est, ouverte, lundi avec l’attribution du Nobel de physiologie ou de médecine au paléogénéticien suédois Svante Pääbo.
Les physiciens quantiques français Alain Aspect, américain John F. Clauser et autrichien Anton Zeilinger ont été récompensés, mardi, par le prix Nobel de physique et le prix Nobel de chimie a été attribué, mercredi, aux Américains Carolyn R. Bertozzi et K. Barry Sharpless et au Danois Morten Meldal.
Les annonces du prix Nobel de la paix et d’économie sont prévues respectivement vendredi et lundi prochains.
Avec AFP et Reuters