Il aura fallu au Parlement européen près de 25 ans de silence complice, de laxisme et de passivité pour se décider enfin de prendre le taureau par les cornes et de voter résolution d’urgence sur les droits humains au Maroc. Le moroccogate qui a largement terni l’image et la réputation de l’instance européenne, y était probablement pour quelque chose ; les eurodéputées ont voulu ainsi prouver qu’ils n’étaient pas à la solde du Maroc, malgré l’implication de plusieurs d’entre eux dans ce scandale de corruption. Le lobbying marocain, jadis efficace à Bruxelles, ne semble plus être opérationnel. Preuve en est, cette résolution votée à une très large majorité des votants (356 voix pour, 32 contre, 42 abstentions).
La résolution demande aux autorités marocaines de « respecter la liberté d’expression et des médias, mais aussi d’assurer aux trois journalistes actuellement emprisonnés au Maroc, “un procès équitable (…) leur remise en liberté provisoire, et de cesser immédiatement tout harcèlement à l’encontre de tous les journalistes, de leurs avocats et de leurs familles” », peut-on lire dans un communiqué publié par RSF.
« Mieux vaut tard que jamais »
« Le Parlement européen met fin à une fâcheuse tendance à exempter le Maroc de toute remarque sur les atteintes à la liberté de la presse. Mieux vaut tard que jamais, juge le représentant de RSF en Afrique du Nord, Khaled Drareni. Avec ce vote historique nous sommes satisfaits que cette impunité soit terminée. N’oublions pas que trois journalistes sont embastillés au Maroc sur la base d’accusations montées de toute pièce. Exigeons leur libération ! ».
Questionné par Interlignes sur la corrélation entre le Moroccogate et cette résolution, M. Khaled Drareni a déclaré « je pense Je pense que les derniers développements au sein du Parlement européen, notamment ce qu’on appelle le Moroccogate ont montré qu’il y avait de forts soupçons de complaisance de certains eurodéputés avec le pouvoir marocain ». Cette situation rendait, selon le représentant de RSF en Afrique du Nord, « quasi impossible toute proposition de résolution d’urgence sur le Maroc ».
Outre le cas très médiatisé du lauréat du prix RSF 2022 pour la liberté de la presse, Omar Radi, qui croupi dans une prison au Maroc depuis 30 mois et qui a été condamné en appel à six ans de prison pour des accusations d’espionnage et de viol, le Parlement européen a cité les cas de deux autres journalistes victimes de l’instrumentalisation d’affaires de mœurs, à savoir Taoufik Bouachrine et Souleiman Raissouni, condamnés respectivement à des peines de 15 ans et 5 ans de prison ferme pour des faits.
La résolution du Parlement européen a, par ailleurs, dénoncé la surveillance dont font l’objet plusieurs journalistes au Maroc, à travers le logiciel espion Pegasus, de l’entreprise israélienne NSO. Selon le communiqué de RSF, les parlementaires européens ont exigé « des autorités marocaines de “mettre fin” à cette pratique et “de prendre des mesures législatives les protégeant contre de telles pratiques”. Parallèlement, ils demandent instamment aux États membres de l’UE de “cesser d’exporter des technologies de surveillance vers le Maroc, conformément au règlement de l’UE sur les doubles usages” ».
Pour rappel, le Maroc occupe la 135e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse 2022 de RSF.