Le chef de l’Etat a profité de cette occasion pour réagir aux différents rapports d’ONG internationales, mais surtout Reporter Sans Frontières (RSF) qui a rendu public à l’occasion du « 3 mai » son classement annuel de la liberté de la presse, en affirmant, entre autres, qu’il s’agit de « fausses informations » pour ce qui est de « journalistes algériens en prison pour leurs opinions ». « Nous sommes au fait des coulisses de ce genre de classements », a-t-il souligné, affirmant que « Le seul classement à prendre en compte est celui de l’ONU connue pour l’impartialité de ses institutions ».
« Sans une presse responsable et professionnelle nous n’irons pas très loin », a lancé le chef de l’État, rappelant que « la Constitution de 2020 avait appuyé les droits de la presse et renforcé la liberté d’expression ». Il a mis en évidence, à cet effet, « la nécessité d’avoir de grandes institutions médiatiques nationales capables de contrecarrer les ennemis de la patrie et de contrer les attaques extérieures contre le pays, car il s’agit d’une école qui forme des générations et contribue à éclairer l’opinion publique ».
Lors de la cérémonie organisée le même jour par la présidence à l’occasion de la journée internationale de la liberté de la presse, le représentant de RSF pour l’Afrique du Nord, le journaliste Khaled Drareni, convié à la cérémonie, avait remis au chef de l’Etat une lettre de l’organisation qu’il représente. « RSF a été invitée à cette rencontre. En ma qualité de représentant de cette organisation pour l’Afrique du Nord, je suis allé à cette rencontre pour lui remettre une lettre de l’organisation contenant une série de demandes, notamment la libération de Ihsane El Kadi, et l’abandon des poursuites contre lui et contre Interface média », a déclaré Drareni dans la soirée de ce 3 mai sur « AlternaTv »
Celui-ci a ajouté qu’il y avait un Président « à l’écoute » qui n’a pas été « violent, comme d’habitude lorsqu’on lui parle de Ihsane El Kadi ». Le représentant de RSF pour l’Afrique du Nord a tenu à préciser que le fait que l’ONG ait été invitée pour la première fois à un événement pareil est en soi « positif ». Ceci d’autant que Tebboune, a-t-il encore ajouté, n’a pas exprimé d’objection à la demande qui lui a été faite concernant la volonté du SG de RSF de visiter l’Algérie.
S’agit-il de prémisses d’un éventuel changement de cap de la part des autorités pour ce qui est de la gestion du dossier des médias, et par conséquent de la libération des journalistes emprisonnés ? « Attendons pour voir », a rétorqué Drareni.
L’Algérie recule de deux places en 2023
Il est à noter que durant cette même journée, RSF avait rendu public son « Classement mondial de la liberté de la presse 2023 », intitulé cette année « les dangers de l’industrie du simulacre ». Sur 180 pays classés, l’Algérie se retrouve à la 136e place, reculant de deux places par rapport à l’année précédente. « En Algérie, alors que l’article 54 de la Constitution garantit la liberté de la presse, de plus en plus de journalistes se retrouvent devant les tribunaux pour leurs écrits et un nouveau Code de l’information, décrié et préparé sans concertation, a été adopté », a écrit RSF.
Il faut dire que depuis 2019, plusieurs journalistes se sont retrouvés en prison, majoritairement pour des motifs autres que l’exercice de leurs métiers, quoi qu’il y ait deux cas de journalistes poursuivis et emprisonnés officiellement pour leurs écrits (Rabah Karèche du quotidien Liberté qui a été fermé par son propriétaire et Belkacem Houam de Echourouk).
Ceci sachant qu’en plus de Ihsane El Kadi, un autre journaliste, Mustapha Bendjama, est en détention provisoire depuis le mois de février dernier. Si celui-ci n’a pas été mentionné par RSF dans son rapport – ce qui d’ailleurs a provoqué une polémique – l’un de ses avocats affirme que l’une des deux affaires dans lesquelles il est poursuivi est en lien avec son métier.
Quoi qu’il en soit, et vu que l’arsenal juridique mis en branle à chaque fois lorsqu’il s’agit de poursuites à l’encontre de journalistes, la justice s’appuie essentiellement sur des articles du code pénal, notamment les articles relatifs à l‘ « atteinte à la sureté de l’Etat » par exemple, il serait difficile donc pour les autorités de faire passer son argumentaire, réitéré à chaque fois, relatif à l’« absence en prison de journalistes pour des faits en lien avec leur métier ».
Ceci, d’autant que le projet de loi relatif à l’information, adopté par l’APN, le 28 mars 2023, et le Conseil de la Nation, le 13 avril 2023, renforce le poids de l’exécutif dans le secteur par rapport au texte en vigueur, notamment pour ce qui est des autorités de régulation et du Conseil de l’éthique.
Ce dernier sera composé, selon le nouveau texte, de douze membres dont six désignés par le Président et six élus par leurs pairs, alors que dans le texte en vigueur, et même s’il n’a jamais été installé, tous ses membres sont élus par les journalistes et éditeurs. De même pour les autorités de régulation (audiovisuel ainsi que presse écrite et électronique), composées, de neuf membres tous désignés par le Président, alors que dans le texte en vigueur (loi de 2012), il est question de quatorze membres dont sept désignés par le Président.
« Situation inquiétante en Afrique du Nord »
L’Algérie ne fait pas exception par rapport à la région nord-africaine. « Les conditions d’exercice des journalistes continuent également de se dégrader en Afrique du Nord, où la Tunisie (121e) du président Saïed et l’Algérie (136e) du président Tebboune confirment leurs dérives autoritaires », écrit RSF. « En Tunisie, après avoir gelé puis dissous le parlement en 2021, le chef de l’État remet en cause les acquis de la liberté de la presse arrachées après la révolution de 2011 et les journalistes sont poursuivis pour leur travail d’enquête ».
« En Algérie, alors que l’article 54 de la Constitution garantit la liberté de la presse, de plus en plus de journalistes se retrouvent devant les tribunaux pour leurs écrits et un nouveau Code de l’information, décrié et préparé sans concertation, a été adopté. Au Maroc (144e), la détention arbitraire des journalistes Omar Radi et Souleiman Raissouni se prolonge et le harcèlement judiciaire d’autres journalistes critiques ne faiblit pas », a rappelé cette organisation.
La situation semble plus inquiétante encore pour ce qui est du Maroc. A l’occasion de la journée internationale de la liberté de la presse, Amnesty international a rendu public un communiqué dans lequel elle indique qu’ « au moins quatre journalistes et un universitaire sont privés du droit de lire et d’écrire dans les prisons marocaines ».
« Les autorités marocaines arrêtent depuis longtemps les écrivains et journalistes dissidents et aujourd’hui, nous pensons à tous ceux qui sont emprisonnés pour leurs écrits. Priver les journalistes incarcérés de stylos et de papier est vain et punitif, et constitue une atteinte délibérée à leur liberté d’expression », a déclaré, à ce propos, Rawya Rageh, directrice adjointe par intérim pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnesty International.
« En cette Journée mondiale de la liberté de la presse, nous appelons les autorités marocaines à mettre un terme à ces mesures cruelles à l’égard des journalistes et des universitaires. Elles doivent libérer ceux qui sont emprisonnés uniquement pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression et veiller à ce que l’accès des prisonniers aux journaux, livres et matériel d’écriture ne soit pas arbitrairement restreint », a-t-elle encore ajouté.
En somme, il est évident qu’il y a un net recul de la liberté de la presse dans les trois pays nord-africains. Dans le cas de l’Algérie, la problématique se pose avec insistance depuis 2019 où les espaces de libertés semblent se rétrécir. Et la nouvelle loi relative à l’information ne va pas arranger les choses.
La cérémonie organisée par la présidence de la République, ce 3 mai, et l’invitation faite au représentant de RSF en Algérie, peut-elle augurer d’un changement de cap ? L’avenir nous le dira…