La mobilisation, qui ne faiblit pas jeudi à Bagdad en dépit des tirs à balles réelles des forces de l’ordre, constitue un véritable test pour le gouvernement d’Adel Abdel Mahdi, qui doit souffler sa première bougie à la fin du mois.
Conspuant entre autres corruption, chômage et services publics défaillants, ce mouvement reste jusqu’ici, fait inédit en Irak, spontané alors qu’aucun parti ou leader politique ou religieux ne s’est déclaré à son origine.
Mercredi soir toutefois, le leader chiite Moqtada Sadr a appelé ses très nombreux partisans, qui avaient déjà paralysé le pays en 2016 avec des manifestations dans la capitale, à organiser des « sit-ins pacifiques ».
S’il est suivi, cet appel pourrait faire grimper le nombre de manifestants qui, ces deux derniers jours, ont commencé à se rassembler par milliers en fin d’après-midi pour continuer jusqu’à l’aube.
Tirs sur Tahrir
Dans la seule province de Zi Qar (sud), dont le chef-lieu est Nassiriya, onze personnes ont été tuées depuis mardi –dix manifestants et un policier–, selon des responsables.
Quatre autres manifestants ont été tués à Amara, chef-lieu de Missane (sud), deux à Bagdad, et autant à Kout, dans l’est du pays, de même source, tandis que près de 800 personnes –manifestants et forces de l’ordre– ont été blessées à travers l’Irak.
Les autorités, qui dénoncent des « saboteurs » parmi les manifestants, ont déclaré dans la nuit un couvre-feu à Bagdad et dans plusieurs villes du sud.
Internet, d’où sont partis les appels à manifester, est par ailleurs coupé jeudi dans une grande partie de l’Irak, du fait de « restrictions décidées » par des fournisseurs, selon un site spécialisé.
A Bagdad, des policiers antiémeutes ont tiré à balles réelles sur l’emblématique place Tahrir où ils repoussaient des dizaines de manifestants qui incendiaient des pneus, selon un photographe de l’AFP.
Un manifestant a affirmé à l’AFP y avoir dormi « pour que les policiers ne reprennent pas la place », avant de refluer avec les autres vers les rues adjacentes.
Protestataires et policiers sont face-à-face aux abords de la place, séparée de l’ultrasensible Zone verte — où siègent le Parlement et le gouvernement– par le pont al-Joumhouriya bouclé par les forces de l’ordre.
Pour éviter un déferlement de protestataires dans la Zone verte, où est également installée l’ambassade américaine, les autorités ont refermé ce secteur rouvert en juin aux Irakiens après 15 années de repli derrière murs et barbelés.
La municipalité de Bagdad a déclaré jeudi jour chômé pour les fonctionnaires, ce qui pourrait permettre aux forces de l’ordre de renforcer leur quadrillage de la cité de neuf millions d’habitants.
Comme dans la capitale, des protestataires continuent de bloquer de nombreux axes routiers, ou incendient des pneus devant des bâtiments officiels dans les provinces méridionales de Najaf, Missane, Zi Qar, Wassit, Babylone et jusqu’à Bassora, grande ville pétrolière.
Le mouvement n’a jusqu’ici pas été suivi dans les provinces au nord et à l’ouest de Bagdad, principalement sunnites, récemment ravagées par la guerre contre le groupe Etat islamique (EI), ni au Kurdistan autonome.
« Faire retomber l’escalade »
« Il faut absolument faire retomber l’escalade » de la violence, a plaidé la représentante de l’ONU en Irak, Jeanine Hennis-Plasschaert.
Les manifestants, eux, n’en démordent pas: ils veulent des services publics fonctionnels dans un pays en pénurie d’électricité et d’eau potable depuis des décennies, des emplois pour les jeunes alors qu’un sur quatre est au chômage et la fin de la corruption qui a englouti en 16 ans plus de quatre fois le budget de l’Etat –soient 410 milliards d’euros.
Les manifestations ne sont pas rares en Irak, douzième pays le plus corrompu au monde selon Transparency International, mais depuis l’arrivée du gouvernement Abdel Mahdi, le 25 octobre 2018, aucun mouvement d’apparence spontané n’avait connu une telle ampleur.
La mobilisation rassemble toutes sortes de déçus du gouvernement qui, notait la presse, défilent, « pour la première fois sans drapeau, sans affiches et sans slogans de parti ».
Une partie des manifestants a en outre manifesté contre la mise à l’écart du patron de l’antiterrorisme, le général Abdel Wahab al-Saadi, une décision qui avait provoqué une levée de boucliers et qui a été vue par des observateurs comme favorable aux factions pro-Iran en Irak.