Opacité, ambiguïté, imprécisions et incohérences des chiffres : Charfi porte atteinte à la crédibilité de l’élection

La proclamation des résultats provisoires des élections présidentielles anticipées a suscité beaucoup d’incompréhension, d’étonnement et de questions, en raison de leur ambiguïté, de leur imprécision, de l’opacité qui les entoure, mais surtout des contradictions et incohérences qu’elles présentent. Ce qui a surtout surpris, c’est l’utilisation par le président de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), Mohamed Charfi, d’un « nouveau concept biaisé » destiné à tromper l’opinion publique nationale et à l’induire en erreur. Quelles sont les raisons qui ont poussé Charfi à agir ainsi ? Analyse.
© DR | Mohamed Charfi, président de l'Autorité nationale indépendante des élections (ANIE)
© DR | Mohamed Charfi, président de l'Autorité nationale indépendante des élections (ANIE)

Depuis près de 48 heures, le sujet des résultats provisoires des élections présidentielles du 7 septembre est sur toutes les lèvres. Il est normal que les échéances électorales les plus importantes d’une nation soient le principal sujet de conversation de tout citoyen. Mais cette fois-ci, ce ne sont ni les résultats eux-mêmes ni le suspense autour de l’identité du futur chef de l’État qui ont suscité l’intérêt général, mais le refus du président de l’ANIE de révéler à l’opinion publique nationale les données les plus élémentaires d’un rendez-vous électoral aussi important que les présidentielles.

Un indicateur biaisé pour gonfler les chiffres

Charfi, qui devait tenir son quatrième point de presse à 21 h 30 afin de donner le taux de participation à la clôture des bureaux et centres de vote, a attendu jusqu’au 8 septembre à 00 h 15 pour révéler, non pas le taux de participation, mais « la moyenne des taux de participation » des wilayas. Une notion qui n’a pas sa place en politique, et surtout lors d’un scrutin aussi névralgique, puisqu’il s’agit là d’un indicateur biaisé, loin d’être représentatif de la réalité. Contrairement au taux de participation, calculé en divisant le nombre de votants par le nombre total d’électeurs inscrits, la moyenne des taux de participation, calculée en divisant la somme des taux de participation des wilayas par 58, ne reflète pas la réalité du terrain.

Elle met sur le même plan des wilayas surpeuplées, avec un corps électoral important, et des wilayas où ce corps électoral est relativement modeste. Selon les résultats de 17 h, les wilayas du Nord, où se concentrent la majorité des électeurs, ont connu des taux de participation relativement faibles par rapport à celles du Sud et de certaines localités des Hauts-Plateaux. Procéder par moyenne, au lieu de donner le taux global, revient donc à gonfler artificiellement les chiffres. De plus, la majorité des citoyens et des médias sont tombés dans le « piège ». N’ayant pas de notions en statistiques et étant habitués à recevoir directement le taux global de participation, ils n’ont pas prêté attention au terme « moyenne ». Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la quasi-totalité des médias a titré et parlé de « taux de participation » en utilisant les chiffres révélés par le président de l’ANIE.

La classe politique réagit

Le pot aux roses a rapidement été découvert. Nombreux sont ceux qui ont qualifié les agissements de Chorfi et de l’instance qu’il préside de « supercherie » et de « graves dérives ». Les questions étaient nombreuses. Certains analystes et politiciens se sont exprimés ouvertement. C’était notamment le cas d’Abderrezak Makri, ancien président du MSP, qui a réagi à travers une publication sur Facebook, où il a affirmé que le « dopage du taux de participation lors de ce scrutin n’a pas d’égal dans l’histoire des élections en Algérie. De 26 %, il passe à 48 % en seulement 3 heures. Comme si des millions d’Algériens avaient mystérieusement et subitement fait le déplacement (aux bureaux de vote, NDLR). Personne n’a vu de foules ». « Tebboune n’avait nul besoin de ce trucage, puisqu’il dépassait largement ses adversaires dans toutes les wilayas et circonscriptions. Mais le trucage du taux de participation discrédite entièrement ce scrutin », a conclu l’ancien président du MSP.

La publication Facebook de Makri a été supprimé peu après la publication du communiqué de la direction de campagne de Hassani Cherif, qui fustigeait un « retour aux anciennes pratiques » et « l’utilisation de la moyenne des taux de participation des wilayas en lieu et place de l’annonce du taux réel de participation et du nombre d’électeurs s’étant présentés aux urnes à travers l’ensemble du territoire national et à l’étranger ». Le communiqué dénonçait également les « pratiques administratives inacceptables de l’ANIE, notamment lors de la collecte des signatures, de l’annonce des résultats devant l’opinion publique ou encore la gestion déficiente de la couverture médiatique des candidats durant la campagne électorale ».

Le MSP a également pointé du doigt « l’incapacité de l’ANIE à gérer les taux de participation le jour du scrutin, faisant parfois des annonces tardives, recourant parfois à une moyenne des taux de participation, rendue publique après minuit, alors que les bureaux de vote étaient fermés depuis 20 h, soit avec quatre heures de retard ». Tout cela pour annoncer des résultats incomplets, qui ne comprennent pas le nombre de suffrages exprimés.

Outre le MSP, le RCD a également réagi aux nombreux dépassements de l’ANIE. D’abord, l’ancien président du parti, Mohcine Belabbas, a réagi par une série de publications sur Facebook, avant que le parti ne prenne le relais. Dans sa première publication, Belabbas a averti que « falsifier les chiffres électoraux discrédite toute prétention à lutter contre la corruption ». L’ancien président du RCD a conclu sa série de publications en affirmant que « reconnaître la réalité des taux de participation, même bas, serait un bon début pour restaurer la crédibilité des institutions ».

Dans un communiqué publié ce dimanche, le RCD a déclaré que « ce qui devait être, pour le pouvoir, une simple opération de plébiscite en faveur de la poursuite de sa politique s’est transformée en un véritable camouflet pour le régime ». Le parti d’opposition n’a pas mâché ses mots, parlant de « faire progresser artificiellement le taux de participation… doublé honteusement en deux heures », affirmant que le taux réel serait de 18 %. Le RCD qualifie le désintérêt des électeurs de « désaveu historique, car il concerne l’ensemble des régions du pays ».

Charfi évite les journalistes

Devant animer ce dimanche 8 septembre une conférence de presse pour proclamer les résultats provisoires, et n’ayant pas de réponses aux nombreuses questions probables, le président de l’ANIE s’est partiellement dérobé à ses obligations en refusant l’accès aux journalistes accrédités. La conférence de presse s’est tenue à huis clos, en présence uniquement des caméramans des télévisions et de la radio publique, ainsi que de l’APS.

C’est ainsi que le président de l’ANIE a pu poursuivre dans sa lancée en communiquant des chiffres vagues, imprécis, incohérents et contradictoires, tout en occultant certaines données essentielles au bon déroulement du processus électoral. Même après l’annonce des résultats provisoires, Chorfi a continué de maintenir le secret autour du taux de participation. Il a même refusé de révéler le nombre de bulletins nuls, afin que personne ne puisse calculer le taux global de participation.

Le taux de participation était l’enjeu principal de cette élection. Le président-candidat Abdelmadjid Tebboune partait avec une grande longueur d’avance sur ses deux concurrents, ce qui laissait peu de suspense quant à l’identité du futur locataire du palais d’El Mouradia. La seule inconnue de ce scrutin était le taux de participation. Tout a été mis en œuvre pour convaincre les Algériens de se rendre massivement aux urnes.

Le président de l’ANIE dans l’embarras

Les agissements de Chorfi n’ont pas été sans conséquence. Les trois candidats ont, par le biais d’un communiqué commun, dénoncé les « imprécisions, contradictions, ambiguïtés et incohérences » des chiffres révélés par l’ANIE. Quelques heures plus tard, précisément ce lundi 9 septembre à 2 h 08, l’instance dirigée par Chorfi a réagi en publiant un communiqué en réponse à celui des trois candidats.

« L’Autorité nationale indépendante des élections prend note du communiqué conjoint publié dans la soirée du dimanche 8 septembre par les directions de campagne des trois candidats aux élections présidentielles anticipées du 7 septembre 2024. Compte tenu de la poursuite de la réception des procès-verbaux wilayales originaux pour plus de précision dans les résultats, l’Autorité nationale indépendante des élections informe les directeurs de campagne électorale des candidats ainsi que l’opinion publique qu’elle transmettra à la cour constitutionnelle les résultats contenus dans les procès-verbaux originaux dès la réception complète des documents. Elle communiquera ensuite les résultats du scrutin à l’opinion publique, conformément au principe de transparence, dans le but de préserver la crédibilité de l’ensemble du processus électoral, qui s’est déroulé dans les meilleures conditions », peut-on lire dans le communiqué.

 

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