À deux jours de la date butoir fixée par Israël pour l’expulsion de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) d’El Qods-Est, le chef de l’agence a dénoncé, mardi, une tentative israélienne de sabotage du redressement de Ghaza, au moment même où l’aide humanitaire dans l’enclave doit être considérablement renforcée.
« Limiter nos opérations maintenant, en l’absence d’un processus politique et alors que la confiance dans la communauté internationale demeure très faible, mettrait en péril le cessez-le-feu », a mis en garde le chef de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, lors d’une réunion du Conseil de sécurité sur la situation au Moyen-Orient.
Alors que des dizaines de milliers de personnes retournent dans le nord de l’enclave après 15 mois de guerre, « à la recherche des vivants et pour enterrer les morts », M. Lazzarini a indiqué que tous les Palestiniens de Ghaza se tournent désormais vers l’UNRWA, « l’agence qu’ils ont connue toute leur vie », pour obtenir de l’aide.
L’UNRWA visée par deux lois israéliennes
La réunion du Conseil avait lieu suite à l’envoi, le 24 janvier, d’une lettre par le Représentant permanent de la mission israélienne au Secrétaire général de l’ONU, dans lequel il somme l’UNRWA d’évacuer ses locaux à El Qods-Est et de cesser toute activité dans ce secteur de la ville sainte d’ici le 30 janvier.
Ce courrier fait suite à deux lois visant l’UNRWA, votées en octobre dernier par le parlement israélien et censées entrer en vigueur à la fin du mois de janvier.
La première, à l’origine de l’ordre d’expulsion de l’agence, interdit les activités de l’UNRWA en Israël, y compris à El Qods-Est.
Le second texte, adopté dans la foulée par la Knesset, interdit aux responsables israéliens de travailler avec l’UNRWA et ses employés.
Si elle entrait en vigueur, cette loi compliquerait considérablement les activités de l’agence à Ghaza, dans la mesure où Israël contrôle toutes les entrées de livraison d’aide humanitaire dans l’enclave.
« Plus grande présence » de l’ONU à Ghaza
Devant le Conseil, le chef de l’UNRWA a rappelé que son agence, forte de 13.000 personnes réparties dans 300 locaux, constitue « la plus grande présence » de l’ONU à Ghaza.
Dans ce contexte, il a jugé que limiter les opérations de l’agence porterait non seulement atteinte au cessez-le-feu, mais « saboterait » également le redressement et la transition politique à Ghaza.
Cela compromettrait les capacités des Nations Unies au moment même où l’aide humanitaire doit être considérablement renforcée et ne ferait qu’aggraver les conditions de vie déjà catastrophiques de millions de Palestiniens.
L’UNRWA est irremplaçable
Selon M. Lazzarini, le gouvernement israélien prétend que les services de l’UNRWA peuvent être transférés à d’autres entités.
Or, il a estimé que les capacités de l’agence à fournir directement des soins de santé à des millions de Palestiniens et à reprendre l’éducation de centaines de milliers d’enfants dépassent de loin celles de toute autre entité.
« Ces services ne peuvent être transférés qu’à un État fonctionnel », a-t-il déclaré.
Le chef de l’UNRWA a également répondu aux affirmations du gouvernement israélien, selon lesquelles l’agence ne jouerait qu’un rôle négligeable dans l’acheminement de l’aide humanitaire à Ghaza.
« L’UNRWA représente la moitié de la réponse d’urgence et toutes les autres entités fournissent l’autre moitié », a-t-il affirmé.
Selon lui, depuis octobre 2023, l’agence a livré les deux tiers de toute l’aide alimentaire à Ghaza, fourni un abri à plus d’un million de personnes déplacées et vacciné un quart de million d’enfants contre la polio.
Depuis le début du cessez-le-feu, a-t-il ajouté, l’UNRWA a fait entrer 60% de la nourriture acheminée dans l’enclave, au profit de plus d’un demi-million de personnes.
Il a également indiqué que son agence réalise environ 17.000 consultations médicales chaque jour.
Conséquences en Cisjordanie occupée
En Cisjordanie occupée, où la violence s’intensifie, la fin des opérations de l’UNRWA privera également les réfugiés palestiniens d’éducation et de soins de santé.
« L’Autorité palestinienne a clairement fait savoir qu’elle n’avait pas les ressources financières ni la capacité de compenser la perte des services de l’UNRWA », a rappelé M. Lazzarini.
Dans ce contexte, il a estimé que la cessation des activités de l’agence et la fermeture de ses locaux à El Qods-Est affecterait environ 70.000 patients et plus d’un millier d’étudiants.
Mépris du droit international
Le chef de l’UNRWA a par ailleurs dénoncé la volonté des autorités israéliennes de construire des colonies illégales de peuplement dans le quartier de Sheikh Jarrah, où se trouvent les locaux de l’agence.
Selon lui, les lois passées en octobre par la Knesset défient également les résolutions du Conseil de sécurité, de l’Assemblée générale de l’ONU et de la Cour internationale de justice.
Ces lois, a-t-il précisé, ne tiennent pas compte du fait que l’UNRWA est le mécanisme établi par l’Assemblée générale pour fournir une assistance aux réfugiés palestiniens, en attendant une réponse politique à la question palestinienne.
« La mise en œuvre de cette législation tourne en ridicule le droit international », a protesté M. Lazzarini.
Il s’est toutefois dit déterminé à rester sur place et à agir « jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de le faire ».
Campagne de désinformation
Le chef de l’UNRWA a par ailleurs dénoncé les ressources importantes investies par les autorités israéliennes pour présenter son agence comme une organisation terroriste.
« Des panneaux d’affichage et des publicités accusant l’UNRWA de terrorisme sont récemment apparus dans les principales villes du monde », a-t-il souligné, affirmant que ces derniers étaient financés par le ministère israélien des Affaires étrangères.
Lazzarini a aussi cité le fait que des campagnes publicitaires de Google redirigent ceux qui recherchent des informations sur l’agence vers des sites web remplis de désinformation.
« L’absurdité de la propagande anti-UNRWA ne diminue pas la menace qu’elle représente pour notre personnel, en particulier pour ceux qui se trouvent en Cisjordanie occupée et à Gaza, où 273 de nos collègues ont été tués », a-t-il déclaré.
Difficultés de financement
Le chef de l’UNRWA a indiqué que la menace posée par les efforts politiques visant à démanteler son agence est aggravée par les difficultés financières qu’elle traverse, alors que ses principaux donateurs ont décidé de réduire ou de mettre fin à leurs contributions.
Dans ce contexte, M. Lazzarini a lancé un appel urgent à une augmentation du soutien financier à l’UNRWA, au versement rapide des fonds alloués et à un déblocage des fonds suspendus.
Point humanitaire à Ghaza
Par ailleurs, à Ghaza, le bras humanitaire de l’ONU (OCHA) rapporte que les agences internationales continuent de fournir de la nourriture et des soins de santé aux personnes qui retournent dans le nord de l’enclave.
« Plus tôt dans la journée, nos partenaires estiment que plus de 375.000 personnes ont traversé la frontière du sud vers le nord, depuis l’ouverture, hier, de la route côtière et de la route Salah al Din », a rapporté le porte-parole du Secrétaire général, Stéphane Dujarric, lors du point de presse quotidien de l’ONU, à New York.
Selon M. Dujarric, les travailleurs humanitaires déployés le long de ces routes fournissent aux personnes en déplacement de l’eau, des repas chauds, des biscuits à haute teneur énergétique, des kits d’hygiène et des soins médicaux d’urgence.
Ils avertissent également les populations des dangers posés par les munitions non explosées.
Le porte-parole a en effet indiqué que le Service de la lutte antimines des Nations Unies (UNMAS) et ses partenaires ont évalué près d’une douzaine de sites à travers Gaza, afin de réduire le risque posé par les restes de guerre.
Parallèlement, le Programme alimentaire mondial (PAM) a fourni une aide alimentaire à plus de 330.000 personnes à travers Ghaza durant la première semaine du cessez-le-feu, notamment des colis alimentaires, des repas chauds et une aide en espèces.
Grâce à l’afflux d’aide entrant dans l’enclave, le PAM a également pu mettre en place cinq nouvelles boulangeries dans la partie sud de Gaza et livrer des repas chauds aux familles immobilisées dans des abris.
Trois quarts des champs et des oliveraies endommagés ou détruits
Selon M. Dujarric, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) s’efforce de son côté de rétablir la production alimentaire locale à Gaza en augmentant les livraisons d’intrants agricoles essentiels.
Selon les dernières estimations, les trois quarts des champs autrefois utilisés pour les cultures à Ghaza, ainsi que les oliveraies, ont été endommagés ou détruits.
De plus, les pertes de bétail s’élèvent à 96 %, la production de lait s’est presque arrêtée et seulement 1 % des volailles sont encore en vie. Le secteur de la pêche est également au bord de l’effondrement, ce qui aggrave encore l’insécurité alimentaire.
Avant le début du conflit, l’agriculture représentait environ 10 % de l’économie de Ghaza. Selon la FAO, plus de 560.000 personnes dépendaient entièrement ou partiellement de la culture, de l’élevage ou de la pêche pour leur subsistance.
Avec ONU Info