Portrait de Zoubida Assoul, l’avocate devenue un symbole du combat pour les libertés

Avocate engagée dans la défense des libertés, présidente du parti Union pour le Changement et le Progrès (UCP), porte parole et membre fondatrice du mouvement « Mouwatana », Zoubida Assoul, est sans doute la femme qui a marqué le plus l’année 2018 avec son engagement dans les luttes politiques. Elle est élue femme de l’année par la rédaction Interlignes.

 
La femme à la robe noire est native de Tebessa. Ainée d’une fratrie qui compte quatre sœurs et deux frères, elle déménage avec sa famille vers la ville de Khenechela après avoir fait deux ans d’études dans sa ville natale. « Nous avons déménagé à Khenechela avec nos parents et grands parents paternels.  Très jeune, j’étais impliquée dans la gestion des affaires de la famille dans mon rôle d’ainée. Nous avions moi et ma mère, avec qui j’avais une relation plutôt amicale, veillé à élever mes six autres frères et sœur », raconte Zoubida.
C’est dans l’école primaire de l’émir Abdelkader au centre ville de Khenechla que Zoubida Assoul a poursuivi ses études primaires. « J’adorais cette école car c’était un endroit de bonheur pour nous durant cette époque même si l’établissement n’avait pas de moyens ». Avec beaucoup d’émotion, et plongée dans ses souvenirs d’écolières, l’actuel membre fondateur de « Mouwatana » se souvient des jours où elle faisait de la musique, du théâtre, des travaux manuels et du sport avec les enseignants dont elle garde de très bons souvenirs.

Parcours de militante

« Ils étaient des exemples de générosité et de don de soi. Nous faisions collectivement, une fois par semaine, les travaux d’entretien de l’école. C’était aussi l’école d’éducation civique ou les enseignants veillaient sur notre comportement vis-à-vis de tout l’environnement. C’est là que notre implication dans les activités sociales a commencé ». Elle rappelle qu’elle était surtout « bonne élève, et d’ailleurs, j’ai eu mon BAC en 1976 dans la même ville avec mention ».
Quand elle rejoint l’université, elle s’est directement impliquée dans les activités caritatives. « Nous avons toujours fait des volontariats et des rencontres avec la société civile. On vulgarisait aux élus certains textes de loi. C’était les débuts de mon parcours de militante ».
Après avoir choisi de faire des études et une carrière dans le domaine du droit, elle a rejoint l’université de Mantouri à Constantine en 1976 ou elle obtient une licence en droit privé quatre ans après. « Durant la même année (1980 Nldr), j’ai passé le concours d’accès à la magistrature que j’ai obtenu. Par la suite j’ai accédé à l’institut national de la magistrature à Dar El Beida qui est devenu actuellement, l’école de greffes ». Par la suite, « j’ai fais mon stage pratique à la cour d’Oum El Bouagui dont le siège était à l’époque dans la ville de Ain El Beida » raconte l’avocate.

L’égalité en droits et devoirs entre hommes et femmes

Juste après le stage, elle était nommée magistrat du siège au tribunal de Ain El Beida avant d’être mutée vers Khenechla. « C’est là que j’ai poursuivi mes fonctions de juge de siège, et au même moment, j’ai intégré l’union des juristes algériens (UJA) en qualité de secrétaire nationale chargée de la législation » raconte madame Assoul qui précise que « c’est dans le cadre des activité de cette union (UJA Ndlr) que nous avons sillonné les quatre coins du pays pour animer des séminaires et des journées d’études avec les juristes et les élus locaux ».
En 1984, lors de la promulgation du code de la famille, « nous avons animé beaucoup de séminaires pour mettre la lumière sur toutes les dispositions discriminatoires envers les femmes qui vont à l’encontre de la constitution, qui garantissait l’égalité en droits et devoirs entre hommes et femmes ».

Première femme

Deux ans plus tard, « nous avons organisé à Batna un séminaire sur les contradictions entre les textes de loi et la constitution en présence du ministre de la justice de l’époque, monsieur Mohand Cherif Kharoubi, qui, suite à cette rencontre, a mis sur pied, deux commissions au ministère pour revoir le code pénal, le code de procédures pénales et le code de procédures civil », se souvient-elle. « Après ce séminaire, le même ministre m’a proposé d’occuper le poste de sous directrice au ministère de la justice, comme chargée de la protection des mineurs. Proposition que j’ai accepté ».
« J’ai occupé ensuite le poste de sous directrice de la justice civile avant d’être promue première femme inspectrice centrale au ministère de la justice. Je suis restée en poste à la chancellerie jusqu’à fin 1993 pour rejoindre le Secrétariat Général du Gouvernement (SGG) comme chargée d’études et de synthèse jusqu’en mois de mai 1994 ou je fus nommée parmi les 30 cadres supérieurs de l’état pour faire partie du conseil national de transition (CNT) avec Abdelkader Bensalah. J’occupais le poste de rapporteur de la commission juridique. Une expérience d’une part, très enrichissante car, j’ai contribué à l’élaboration des textes de loi qui ont permis le passage du parti unique au pluralisme à travers la première loi relative aux partis politiques, la loi électorale et la loi sur la monnaie et le crédit pour ne citer que celles-là » raconte Zoubida Assoul.

Positions très critiques

« D’autre part, c’était une période très douloureuse, car sept membres du CNT ont été assassinés par les terroristes. Moi même, j’ai failli être abattue, car les terroristes sont venus chez moi. C’est l’intervention de la gendarmerie qui m’a sauvé ». Après l’achèvement du mandat de trois ans, en 1997, Zoubida Assoul est mise en retraite étant donné qu’elle remplissait les critères réglementaires exigés. « C’était aussi par rapport à mes positions très critiques mais constructives à l’égard du gouvernement que ce soit dans la qualité des projets de loi qu’ils nous soumettaient, ou dans l’exécution des bilans présentés devant l’assemblée » précise-t-elle.
En 1999, elle a rencontré Bachir Boumaza, président du conseil de la nation dans le cadre de l’association des membres du CNT ou il fut « choqué » de voir une personne aussi jeune, en retraite : « il m’avait proposé d’être son conseiller juridique à travers une convention ». « J’ai essayé d’apporter ma contribution par rapport à mon expérience parlementaire pour asseoir de bonnes règles de fonctionnement dans cette institution » raconte l’avocate qui a décidé de quitter à l’arrivée de Abdelkader Bensalah. « Je savais qu’on ne pouvait pas s’accommoder l’un de l’autre » assure-t-elle.

Le Déclic

Après toute cette carrière très chargée, un break s’imposait. C’est durant cette halte que Zoubida Assoul s’est inscrite pour le poste de graduation spécialisé en diplomatie à l’université d’Alger en 2004. Une année plus tard, elle créé avec beaucoup d’amies juristes, le réseau des femmes juristes arabes (Arab Women’s Legal Network AWLN) avec l’American Bar Association (ABA). « J’étais élue en 2006 présidente jusqu’à 2009 par mes pairs des 18 pays arabes membres de ce réseau ici à Alger ». Ce réseau avait comme objectif de former les femmes leaders dans les pays arabes.
« Le Déclic s’est fait lorsque, justement, j’ai fais le tour de ces pays, ou j’avais constaté que dans ces pays, des élites se formaient pour pousser leurs pays au changement et à la bonne gouvernance » précise Assoul. Avec l’avènement de la loi sur les partis politiques en 2012, « nous avons décidé, mes amis et moi, de créer l’Union pour le Changement et le Progrès (UCP) dont j’étais élue présidente lors du congrès constitutif du parti » raconte l’actuelle présidente du même parti qui a eu son agrément le 19 mars 2013.

La constitution, qui est la mère des lois

La présidente du l’UCP dénonce « cette supposée ouverture qui n’était que de façade, puisque tous les partis créés après l’avènement de cette loi n’avaient aucun moyen matériel ou médiatique, et même juridique, qui permet l’activité politique sur le terrain. Tous les droits consacrés par la constitution, comme les manifestations, rassemblements pacifiques et même les réunions ainsi que la liberté de la presse sont interdits par les lois qui sont en totale contradiction avec la constitution. Il n’y a pas de volonté politique sérieuse et sincère quant à l’exercice des libertés consacrées par la constitution, qui est la mère des lois ».

Crise multidimensionnelle

Avec l’abandon de la majorité des citoyens de la pratique politique, « nous avons décidé de créer le mouvement « Mouwatana » qui veut dire « la citoyenneté » : responsabilité de tout un chacun envers la patrie. Le mouvement s’adresse à tous les citoyens qui ont envi de contribuer à la rupture avec le système de gouvernance et construire l’état de droit et se reconnaissent dans la charte des valeurs et des principes ainsi que la résolution des déclarations politiques qui constituent la feuille de route de sortie de crise multidimensionnelle qui secoue notre pays »

Le citoyen qui est la source de tous les pouvoirs

« Je vous rappelle que les quatorze membres fondateurs de ce mouvement ont signé une lettre adressée au président de la république lui demandant de ne pas briguer un cinquième mandat et de permettre une alternance au pouvoir pacifique. Malgré le caractère pacifique de cette initiative, « Mouwatana » a été empêché de faire le travail de proximité avec le citoyen qui est la source de tous les pouvoirs dans une véritable république et un état de droit, qui est d’ailleurs parmi les premiers articles de la constitution ».
Durant cette année qui s’achève, Zoubida Assoul a occupé la scène politique comme porte parole de ce mouvement. Elle n’arrête pas de tirer la sonnette d’alarme sur les dérapages et dépassements qui se succèdent sur les violations des lois de la république « Avocate des journalistes », elle s’est constituée avec ses confrères engagés pour défendre tous les journalistes arrêtés et poursuivis dans des affaires relatives au délit de presse. A quelques mois d’une échéance présidentielles, plutôt contestée, Assoul et ses camarades de lutte, mènent le bateau de l’opposition contre « la prorogation » du mandat de l’actuel président de la république Abdelaziz Bouteflika, et aussi, contre un éventuel 5e mandat de ce dernier.

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