Même pour assister aux décès de leurs parents, les algériens résidents ou bloqués à l’étranger sont livrés à eux-mêmes. Parfois, ils font recours à des chemin « illégaux » pour pouvoir rentrer au pays. D’autres paient des fortunes en « pots de vin » pour trouver une place pourtant gratuite.
« Lors du décès de ma mère, nous étions obligés, moi et mes frères, de prendre l’avion vers la Tunisie et franchir la frontière clandestinement afin de pouvoir la voir une dernière fois avant son enterrement », nous confie Yacine*, jeune algérien résidant en Ile de France. « Nous étions obligés de payer un passeur 10 000 dinars à l’aller, et pareil au retour, car nous n’avions pas la possibilité de prendre l’avion d’Alger à défaut de tampon de la Police Aux Frontières (PAF) ».
Tout le monde « n’a pas eu cette chance comme Yacine », regrette Farid. Ce jeune entrepreneur Algérois qui est bloqué à Marseille depuis le mois de mars, a lui aussi perdu sa maman. « J’ai assisté à l’enterrement de ma mère via un appel vidéo, c’était horrible, et la souffrance est indescriptible » nous confie-t-il. « Comment veulent-ils (les tenants du pouvoir NDLR) qu’on aime ce pays auquel nous avons tout donné, et en contrepartie il nous interdit même d’enterrer nos parents qui nous ont mis sur terre ? », s’interroge Farid avec des lames dans les yeux.
chemins « illégaux ».
Des situations comme Yacine et Farid, on les compte en centaines. Les algériens bloqués à l’étranger ayant des urgences dans le pays sont poussés à mettre leurs vies en péril en empruntant des chemins « illégaux ».
Depuis le début de la pandémie qui a engendré la fermeture des frontières, Air Algérie a opéré plusieurs vols de rapatriement depuis plusieurs pays du monde. Mais dans certaines zones, notamment en Europe, des milliers de ressortissants algériens ne trouvent pas le moyen de rentrer au pays. Au consulat d’Algérie dans le 11e arrondissement de Paris, « des algériens se présentent et s’inscrivent quotidiennement aux listes de rapatriement, mais il n’y a pas de vols malheureusement », nous confie une source auprès de cet établissement.
Le 17 octobre, Amina*, algérienne bloquée en France depuis le mois de mars s’est déplacée pour savoir si elle peut prendre le vol annoncé pour le 22. « Ils ont annoncé deux vols pour rapatrier des diplomates les 17 et 22 octobre et je suis venue dans l’espoir de trouver une place », nous confie-t-elle. Malheureusement pour elle, la réponse était négative. « Ils m’ont dit que ce vol est réservé exclusivement aux diplomates, mais j’ai un doute », nous confie-t-elle.
« Terroristes venants de Syrie »
Au début de l’opération de rapatriement, c’était la compagnie nationale Air Algérie qui organisait les opérations de rapatriement. Quelques jours seulement, après la publication de vidéos montrant des citoyens algériens maltraités et abandonnés à l’aéroport d’Istanbul en Turquie, les ambassades ont « protesté » auprès du ministère des Affaires Etrangères relevant « un éventuel risque d’infiltration de terroristes venants de Syrie ».
Depuis, c’est les consulats qui ont pris les relias et les citoyens désirant rentrer au pays doivent s’inscrire en ligne afin d’effectuer une opération de vérification « sécuritaire ». La démarche en elle-même ne pose aucun problème pour les citoyens car c’est juste une formalité de vérification d’identité et de casier judiciaire par les institutions sécuritaires au pays. Mais depuis, la rentrée au pays est devenue un vrai « Business » pour certaines salariées des représentations diplomatiques.
Finalement, il n’est pas impossible de rentrer au pays à une seule condition : être corrompu(e) et être riche. Ces derniers jours, des « rabatteurs » proposent de « l’aide pour rentrer au pays ». C’est Mohamed*, chef d’entreprise bloqué à Paris qui nous a raconté son périple lorsqu’il s’est rapproché du consulat d’Algérie à Paris pour s’y rendre à Alger. « Je n’avais aucun choix », regrette-il.
Tout a commencé lorsque Mohamed, s’est présenté au consulat d’Algérie à Paris les suppliant de l’aider pour rentrer au pays car son entreprise est au bord du gouffre à cause de son absence. « Je me suis présenté et j’ai supplié les agents d’accueil en leur expliquant que si je ne rentre pas, mon entreprise sera en faillite et mes salariés seront sans emploi », nous raconte notre témoin.
« Il m’a demandé la somme de 2000 € »
Alors que tout le monde lui opposait un « impossible », Mohamed quitte l’enceinte du consulat pour partir. « Quelques dizaines de mètres plus loin seulement, un homme s’est présenté comme une passe partout m’a proposé son aide » nous raconte notre témoin. « Il m’a clairement dit qu’il a les bras longs et qu’il peut m’aider pour prendre le vol du 22 octobre à condition de mettre la main dans la poche », poursuit-il. « Il m’a demandé la somme de 2000 € ».
Mohamed qui est parti pour assister à un salon dans son domaine initialement prévu pour le mois de mars avant d’être annulé a tenté de négocier avec le rabatteur. « Je lui ai expliqué que je n’avais pas les moyens car j’avais déjà presque dépensé tout mon argent, mais il m’a clairement dit que ce n’était pas négociable ».
Mohamed a décidé de payer la somme demandée par le rabatteur et il a fini par briser l’« impossible » qui lui a été opposé dans l’enceinte du consulat. Joint par téléphone, il nous a confirmé que « tout s’est bien passé et il se trouve actuellement à Alger ».
Pour les ressortissants algériens désirant rejoindre le pays, les chances sont minimes, même si le ministère de l’Intérieur a mis en place « une autorisation d’entrée exceptionnelle ». Les personnes désirant rentrer dans le pays doivent formuler une demande auprès du ministère de l’Intérieur en joignant des justificatifs. Si l’autorisation est obtenue, les demandeurs peuvent ainsi prendre les vols Air France et ASL qui partent vers Alger afin d’acheminer « les ayant droit ».
« hautes instances du pays qui ont dit non à la reprise des vols »
Les étudiants, résidents en France, ressortissants étrangers et les personnes ayant obtenus des autorisations de sortie du territoire, prennent aussi ces vols. Mais la compagnie nationale Air Algérie, a cloué tous ses appareils au sol même si plusieurs syndicats ont tiré la sonnette d’Alarme. Pourquoi la compagnie n’a pas de part dans ses vols qui lui permettront d’avoir un peu de trésorerie ? Ce sont les « hautes instances du pays qui ont dit non à la reprise des vols de la compagnie nationale », nous confie une source proche du dossier.
Deux syndicats « interpellent les pouvoirs publics à réagir en toute urgence et en toute transparence en permettant à la compagnie de reprendre graduellement ses activités à l’instar de ce qui se passe à travers le monde ».
Ils plaident ainsi pour la « réouverture des vols sur le réseau intérieur » qui « peut être bénéfique à plus d’un titre (sous réserve des décisions des pouvoirs publics) ». Ils appellent aussi à envisager « une réouverture des frontières ». « La situation sanitaire pouvant se maintenir dans le temps, nous pensons qu’il est opportun de se pencher sur une réouverture des frontières avec un protocole sanitaire qui garantirait un contrôle du risque d’importation du virus », soulignent-ils.
*le prénom a été changé