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Procès Djamel Bensmail : récit des plaidoiries de la défense dans un climat électrique

Entamées depuis mardi dernier, les plaidoiries de la défense des 102 accusés jugés dans l’affaire de l’assassinat de Djamel Bensmail, à Larbaa Nath Irathen, dans la wilaya de Tizi Ouzou, le 11 août 2021, se sont achevées, hier en début de soirée. Après avoir décidé de se passer du dernier mot accordé aux accusés, le président du tribunal criminel de Dar El Beida à Alger, met l’affaire en délibéré.
© DR | le défunt Djamel Bensmail, imolé à larbaa Nath Irathen

Aucune date n’a été avancée pour le prononcé du verdict, mais elle sera donnée aux avocats par le biais de leur conseil de l’ordre. Il faut dire que malgré la maitrise du juge de la gestion du procès, ce dernier s’est déroulé dans un climat très tendu souvent électrique, marqué par des échanges virulents tantôt entre les avocats de la partie civile et ceux des accusés et tantôt entre ces derniers.

Les tentatives d’incidents d’audience n’ont également pas manqué. Dimanche en début de soirée, une coupure d’électricité est venue ajouter un peu plus de tension. Une coupure d’électricité a mis dans le noir total le tribunal criminel de Dar El Beida, provoquant la panique. En quelques secondes, la salle est envahie par les éléments de la BRI (brigade de recherche et d’intervention) de la police, qui étaient positionnés à l’extérieure de la salle et aux alentours du tribunal.

Une avocate suspendue

Dotés de puissantes torches, ils ont immédiatement encerclé les bancs.  Pendant que ces équipes organisaient le dispositif, une avocate a été surprise par une policière, en train de prendre, avec son mobile, des photos des accusés. Vite interpelée, son téléphone a été confisqué. Il contenait une série de photos. Après de longs pourparlers entre le procureur général et des membres du conseil de l’ordre, l’avocate a quitté le tribunal.

Hier matin, elle a fait l’objet, apprend-on de source sure, d’une mesure de suspension en attendant la suite à donner à son cas. La salle d’audience est, quant à elle, envahie par les éléments de la BRI, qui se sont positionnés autour des bancs des accusés et ce durant toute la journée et jusqu’à la levée de l’audience vers 18 heures 30.

En dépit de cet incident, les plaidoiries, qui avaient commencé mercredi dernier dans l’après-midi, se sont poursuivies. L’écrasante majorité des avocats a plaidé l’acquittement y compris pour ceux qui ont été filmés en train d’immoler Djamel, de le battre, de le traîner du commissariat jusqu’à la place Abane Ramdane et de le décapiter.

Plusieurs d’entre eux dénoncent les demandes du procureur général, en les qualifiant de « condamnations collectives». Pour eux les vidéos « peuvent être accablantes pour certaines accusations, cependant elles restent infondées lorsqu’il s’agit d complot contre l’état et l’unité nationale et au terrorisme ».

Pour eux l’accusation d’attroupement non armé ne « réuni pas les éléments constitutifs tel que les appels lancés à se disperser par des hauts parleurs tél que prévu par la loi. » Pour ce qui est des accusés jugés pour leur appartenance au mouvement séparatiste, MAK, déclaré comme une organisation « terroriste » par les autorités, leur défense a déconstruit l’accusation en battant en brèche le contenu de l’enquête préliminaire et celui de l’instruction, qui d’après elles « n’ont pas apporté de preuves suffisantes. »

Une grande partie des avocats reviennent sur les événements douloureux de de 2001 qui se sont soldés par la mort de 127 manifestants sous les tirs à balles réelles des gendarmes, avant de terminer avec le retrait des troupes de cette force. « Cette longue absence de la gendarmerie de la région a engendré non seulement le non-respect des institutions de l’état mais aussi la défiance au l’égard des forces armées », explique l’un des avocats, ajoutant que « cela a profité au MAK qui était très actifs entre 2013 et 2015 durant lesquelles il a organisé de nombreuses marches à Bejaia et à Tizi Ouzou, encadrées par la police. »

« Profitant de la situation, le mouvement a pris un peu d’aile à Larbaâ Nath Irathen », soutient-il. La Défense est revenue sur ce qu’elle a qualifié de « crime par hasard ou par curiosité », commis par de nombreux jeunes de Larbaa, qui n’ont pas été au commissariat ni pénétré dans le siège de la sûreté de daïra, ou monté dans le véhicule ni frapper la victime ni encore moins saccagé un quelconque véhicule… ».

« L’affaire est-elle celle du MAK ou de Djamel Bensamail ? »

Certains avocats sont revenus sur le contexte dans lequel a eu lieu ce crime à Larbaâ-Nath-Irathen. « La population a perdu son bétail, ses enfants, ses maisons ravagées par les flammes. On leur a fait comprendre, qu’un pyromane a été arrêté.  Ils ont agi sous le coup de la colère.  Je ne veux pas justifier ce crime, mais je veux juste mettre le tribunal dans ce contexte », lance un avocat.

La majorité des avocats ont plaidé l’innocence et donc l’acquittement de leurs mandants. La défense des accusés, relève par ailleurs « qu’on ne peut reprocher à toutes les personnes rassemblées à la place Abane Ramdane ou devant le commissariat d’avoir participé à ce crime abjecte juste par parce qu’elles n’ont pas essayé d’aider la police. »

Un autre avocat, met l’accent sur le rôle joué par les Algériens sur les réseaux sociaux pour rendre visibles tous ceux qui ont pris part à cet assassinat. Il défend l’homme à la bavette noire vêtu d’un pull noire et d’un Jean, qui avait fait couler beaucoup d’encre à l’époque des faits.

L’avocat s’adresse aux journalistes et leur demandent d’informer l’opinion publique sur le fait que l’accusé « n’est pas un agent du DRS (services de renseignement militaire) et qu’il est en prison comme tous les autres accusés et ce, contrairement à ce qui a été véhiculé ».

« pourquoi la police n’a pas protégé le défunt »

L’avocat plaide pour l’acquittement, en raison du fait que son mandant, affirme-t-il, « a tenté de protéger Djamel ». Plaidant lui aussi l’acquittement, l’avocat de l’accusé qui portait le pull avec trois grandes lettres « ART », que l’on voit sur des vidéos, derrière le défunt lors de son passage sur la web TV Awras, au commissariat et à la place Abbane Ramdane, précise « qu’il n’a pas niée sa présence », lance l’avocat.

Pour lui, l’accusé « n’a rien planifié ni fomenté un complot ». Il fait remarquer que la police aurait dû recourir aux bombes lacrymogènes pour disperser la foule imposante. Il s’est demandé pourquoi la police n’a pas protégé le défunt, comme elle l’a fait avec les passagers de la Clio et fini par lancer une autre interrogation : quel dossier est devant le tribunal ? est-ce celui du MAK ou celui du défunt Djamel ?

Un de ses confrère lui emboite le pas, pour déclare à propos de son mandant qu’il n’a été identifié que sur une seule photo, derrière le fourgon de la police au commissariat. « Il était au mauvais endroit et au mauvais moment. Pendant trois jours il n’avait pas fermé l’œil à surveiller sa maison et sa famille menacées par les flammes. Il est parti pour ramener de l’eau et lorsqu’il a vu la foule, on lui a dit un des pyromanes a été arrêté, il a voulu le voire par curiosité ? », explique-t-il. Lui aussi revient sur le contexte des évènements de 2001 pour expliquer ce qui s’est passé à Larbaa Nath Irathen, dix ans après.

« Djamel tué d’une manière affreuse »

Un autre avocat lui succède plaide pour cet accusé. Il est venu de Médéa présenter les condoléances à la belle famille de son fils. Il avait perdu cinq membres à cause de la Covid-19, et s’est retrouvé avec une accusation d’appartenance au MAK, « alors qu’il ne connait même pas la langue, et encore moins des gens de la région ». « Son seul tort est qu’il a été pris dans une photo, à côté du fourgon de la police », indique-t-il.

Lui emboitant le pas, un autre avocat commence sa courte plaidoirie, par faire une déclaration inattendue. « Nous sommes là pour un crime des plus abjectes. Djamel a été tué de manière affreuse devant tous les Algériens, qui ont suivi les évènements sur les réseaux sociaux. Il est mort de manière tragique et depuis le début des plaidoiries j’entends  mes confrères plaider tout bonnement l’acquittement y compris pour des accusés vus par tous les Algériens sur la scène du crime en train de torturer, tuer et immoler Djamel », dit-il, avant d’être interrompu par la réaction brutale et bruyante de ses confrères.

La tension monte entre lui et les avocats. La situation a failli tourner au vinaigre, si ce n’est la suspension de l’audience par le président. Au bout de 30 minutes, celle-ci reprend. L’avocat revient au prétoire et présente ses excuses à ses confrères, en affirmant qu’il n’a jamais été dans ses intentions de leur porter préjudice.

« Nabila a subi une pression terrible »

Le calme revient dans la salle et c’est l’avocat de Nassi Ouardia, l’infirmière, venue de Tipaza avec sa copine Nabila Merouane, qui crie l’innocence de l’accusée et plaide son acquittement parce que dit-il, « elle n’est arrivée à Larbaa que vers 21 heures, alors que le corps du défunt était calciné. Elle n’apparait pas sur les photos ou vidéo, parce qu’elle est restée dans la voiture. Pourquoi est-elle en prison ? Ceux qui ont commis ce crime doivent être condamnés, mais les autres ceux qui n’ont rien fait doivent être libérés ».

La défense de Nabila Merouane, souligne d’emblée : « ce dossier n’est certes pas ordinaire mais nous sommes devant le tribunal criminel où s’applique le droit. Comment expliquer toutes ces accusations ? ».

L’avocat rappelle que l’accusée n’est pas de la région. « Elle est venue apporter son aide à la population et dès qu’elle est arrivée, elle a trouvé la ville en ébullition. Elle a demandé à un policier ce qui se passait, il lui dit qu’un des pyromanes a été arrêté et tué. Elle a été interpelée par un jeune qui l’a suspectée d’être « étrangère à la région » parce qu’elle ne parlait kabyle.

Il l’a accusé d’être des services de renseignement. Elle était obligée de lui présenter sa carte professionnelle, afin de sauver sa vie. Il faut revenir au contexte pour comprendre la pression qu’elle a subie.

L’avocat contes les accusations d’appartenance au MAK, de terrorisme, de complot… ect mais aussi de torture, et de meurtre avec préméditation. « Nabila ne peut pas être accusée de meurtre, parce que Djamel était déjà calciné lorsqu’elle est arrivée à Larbaa. Elle ne peut pas être accusée de torture et mutilation, la victime était déjà carbonisée.»

« Mais comment peut-elle être accusée de complot, alors qu’elle ne connait personne, et contre qui le complot ? Nabila a subi d’énormes pressions. Elle avait très peur de subir le sort de Djamel. Son comportement est la conséquence de cette pression. L’article 88 du code pénal stipule qu’l n’y a pas de sanction contre un crime commis s’il est la conséquence d’une force impossible d’éloigner », estime-t-il. Selon lui, « Nabila tombe sous cet article, elle doit bénéficier de l’acquittement. »

Il est 18 h 30 minutes, le président annonce la fin des débats et met l’affaire en délibéré et précise que dès que la décision sera rendue, le conseil de l’ordre sera informée de la date de son prononcée.

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