La Cour des comptes a consacré un chapitre au « développement de la filière lait » dans son dernier rapport annuel (2024).
« Les investigations de la Cour font ressortir que les actions entreprises en faveur de la filière lait n’ont pas été accompagnées d’une mise en place des outils de pilotage et de mécanismes de contrôle interne permettant d’assurer un suivi et une évaluation de leur mise en œuvre, d’en mesurer les effets et d’apporter les ajustements nécessaires », signale la Cour.
Ainsi, « le marché national du lait, qui dans une large proportion n’est pas contrôlé, manque d’une veille au niveau de l’administration centrale au sujet des prix du lait aussi bien à la production qu’à la consommation », ajoute la même source.
Des actions insuffisantes pour amorcer le développement du marché
Et parmi « les actions entreprises en faveur de la filière lait », la Cour a cité, entre autres, les « prêts bonifiés, une fiscalité avantageuse, un soutien aux équipements et aux cultures fourragères et à la reproduction du bovin laitier, en plus des aides et primes financières aux éleveurs, destinées à améliorer la production laitière ».
Parallèlement, ajoute-t-on encore, « le Trésor public supporte le différentiel entre le prix d’achat de la poudre de lait importée et son prix de rétrocession aux laiteries, en soutien à la consommation ».
A cet effet, même si ces « interventions fortes de l’Etat », ont « permis à la filière lait d’accroitre, de manière notable, la production locale du lait cru collecté », néanmoins, « cette performance n’a pas été suffisante pour amorcer le développement nécessaire du marché laitier qui reste largement dépendant des importations de la poudre de lait ».
La Cour estime que « le processus d’approvisionnement, de collecte, de traitement et distribution du lait requiert beaucoup d’améliorations ».
Plusieurs « insuffisances » ont été citées, dont le fait que « la collecte du lait cru local reste dominée par les circuits informels ».
D’autre part, et s’agissant du traitement du lait, à partir de la poudre de lait importée, et sa distribution sous forme de lait pasteurisé conditionné en sachet, « ces opérations sont menées en l’absence d’un contrôle interne efficace, d’où l’augmentation continue et démesurée de la demande sur la poudre de lait, en plus du gaspillage et du détournement du lait de sa destination ».
« Entre 2009 et 2023, la filière lait a coûté plus de 20 Mrds USD à l’importation »
Ainsi, même si les performances de la filière lait « ont été nettement améliorées ces dernières années », celle-ci « reste dépendante de l’envolée des prix de la poudre de lait à l’international ».
La Cour rappelle qu’ « entre 2009 et 2023, la filière lait a coûté plus de 20 Mrds USD à l’importation (poudre de lait + lait infantile) et près de 800 Mrds de DA de soutien financier direct de l’Etat ». Cependant, « les résultats réalisés restent mitigés : le marché laitier (matière première) est dépendant du marché international à hauteur de 60%. Sans l’informel, il est dépendant à 80% et si on ajoute les autres intrants importés, ce taux atteindra 85% ».
Ainsi, « il ressort du contrôle que la politique publique laitière mise en œuvre, notamment, depuis 2007, s’est distinguée par des contre-performances induites par des stratégies mal orientées, des actions insuffisamment maturées et coûteuses et des dispositifs de contrôle interne inefficaces », a estimé la Cour des comptes.
Des actions qui s’apparentent à des politiques alimentaires…
« Les actions adoptées s’apparentaient plus à des politiques alimentaires visant à –nourrir la population– qu’à des politiques de développement d’un secteur porteur, induisant une totale déconnexion entre la production et la consommation », a-t-elle ajouté.
En plus de ces stratégies mal orientées, des actions insuffisamment maturées et des dispositifs de contrôle interne inefficaces, la Cour cite d’autres causes.
Il y a, tous d’abords, « l’insuffisance de la compétitivité de la filière due à la faiblesse des performances technico-économiques ». Puis, « la forte concurrence induite par une protection du marché de la viande rouge qui permet à l’éleveur de réaliser sur le marché de la viande une valeur ajoutée deux fois et demie (2,5) supérieure à celle qu’il peut réaliser sur le marché du lait ».
La même autorité de contrôle cite aussi « la prédominance du secteur informel (près de 60% de la production du lait cru local) qui ne bénéficie pas du soutien de l’Etat et qui échappe aux divers contrôles ».
Par ailleurs, il y a « l’importance du soutien financier à la consommation du lait importé (45 DA/litre en 2023) est contrasté par la faiblesse du soutien à la production du lait local (entre 19 et 25 DA / litre) » et « la stagnation du prix administré du sachet de lait pasteurisé, à 25 DA le litre, depuis 2001 et des valeurs du soutien financier accordé à la production du lait local depuis 2009 ».
Pour finir, dans ses recommandations, la Cour des comptes estime qu’il faut « réhabiliter l’autorité administrative dans l’exercice de ses missions de pilotage et de veille en vue d’un meilleur accompagnement du développement de la filière lait » et la révision du « système des prix dans la perspective de garantir des revenus rémunérateurs aux éleveurs et de préserver le pouvoir d’achat des consommateurs, tout en assurant la soutenabilité budgétaire de l’action publique ».