Des faits liés à l’octroi de marchés de gré à gré, à coup de milliards de dinars, « en violation de la procédure prévue par le code des marchés publics » dans les domaines de l’hydraulique, des travaux publics, de l’industrie et des Télécommunications.
Une affaire pour laquelle les frères Kouninef, propriétaires du groupe KouGC, présents en tant que témoins (dans le procès), avaient été jugés et condamnés. En tout, 22 prévenus, étaient concernés, avant que deux d’entre eux, Abdelkader Zoukh, ex-wali d’Alger et Hocine Ouadah, ex-wali de Constantine, ne bénéficient d’un non-lieu auprès de la chambre d’accusation.
Il s’agit des trois chefs de l’exécutif, Ahmed Ouyahia, Abdelmalek Sellal et Noureddine Bedoui, poursuivi en tant qu’ex-wali de Constantine, ainsi que les ministres des ressources en eau, Arezki Baraki, Hocine Nacib, des Travaux publics, Ammar Ghoul, des Télécommunications, Ammar Tou et Houda Imène Feraoun, des Finances, Mohamed Loukal (en tant qu’ancien PDG de la Banque extérieure d’Algérie, et en tant que ministre), et l’ancien DG d’Algérie Télécom, Mhamed Mhareb.
Plusieurs cadres d’Algérie Télécom, ainsi que l’ex-wali de Jijel, Bachir Far, auxquels, il faut ajouter les absents, en fuite, l’ex-ministre de l’Industrie et de la participation de l’Etat, Hamid Temmar, l’ex-ministre de l’Industrie, Abdeslam Bouchouareb et l’ex-wali de Jijel, Ali Bedrissi sont aussi concernés.
Le premier à être auditionné par visioconférence est Ahmed Ouyahia, ex-1er ministre, en tant que tel mais aussi en tant que président du CPE (Conseil de participation de l’Etat). Il est poursuivi pour « octroi d’indus avantages à autrui, abus de fonction et dilapidation de deniers publics ».
D’emblée, et d’une voix enrouée, il rejette tous les faits et explique : « je suis poursuivi pour trois dossiers. D’abord le programme d’urgence d’approvisionnement de la wilaya de Bechar en eau potable, en 2018. Le gouvernement a validé 12 marchés qui concernent l’hydraulique. Il ne signe pas ces marchés, il valide la procédure sur la base d’un rapport présenté par le ministre de l’Intérieur en conseil des ministres. Le second dossier est lié aux zones industrielles de Ksar El Boulhari et Ain Ouessara. Ces réalisations sont passées par des avis d’appel d’offres. Elles étaient bloquées en raison de la crise financière. Les commissions de wilayas se sont plaints des blocages et des retards dans ces régions. Les transactions ont connu 23 mois d’arrêt occasionnant des pertes importantes».
Le juge l’interroge sur la privatisation de l’entreprise publique, ENCG (Société nationale des corps gras), cédée à une filiale de KouGC. « Le Premier ministre ne décide pas seul. La décision a été prise en conseil interministériel, composé de 12 ministres. Lors de l’instruction, on a caché une résolution qui autorise la reprise de la société par KouGC. La compensation a été entérinée par le CPE. Cette solution a été décidée dans le but de ne pas laisser le groupe public s’effondrer notamment après la fermeture de ses minoteries », explique Ahmed Ouyahia, avant de lancer : « Je suis peut être coupable d’avoir accordé d’indus avantages, d’avoir abusé de ma fonction, mais je n’ai pas dilapidé les derniers publics. Je n’ai pas volé et je ne suis pas un corrompu ».
« Monsieur le juge, ils ont confisqué tous mes biens et ceux de ma famille »
Le juge passe aux marchés d’approvisionnement en eau potable et interroge : « Pourquoi recourir au gré à gré alors qu’il n’y avait pas urgence ? ». Le prévenu : « j’ai donné un accord pour un programme d’urgence à réaliser dans un délai de 6 mois, sur la base d’une demande du secteur. Cet accord est celui du gouvernement. L’expertise de l’IGF (Inspection générale des finances), sur dossier lié au groupe ETRHB, a affirmé que le contrat était validé.
Si le projet a enregistré un retard, cela ne relève pas de la responsabilité du 1er ministre et de ce fait, ne peut être fautif. Ce n’est pas le gouvernement qui gère, mais l’ADE (Algérien des eaux) et l’ANBT (Agence nationale des eaux et des transferts) ».
Le juge : « le CPE a validé la cession de l’ENCG a une filiale du groupe KouGC, comment avez –vous décidé d’effacer les dettes de l’entreprise ? ». Ouyahia : « 10 commissions ont travaillé sur le dossier et un an après toute, s’accordaient à dire que le groupe KouGC, avait raison. La situation du groupe Cogral était désastreuse. L’Encg était en faillite. Elle ne pouvait plus payer ses travailleurs ».
Le juge : « n’y avait t-i pas d’autres solutions pour la sauver que celle de la cession à un privé ». Ouyahia : « il n’y avait aucune violation de la loi. KouGC, a bénéficié de crédits avec 15 ans de différés, et obtenu un accord du CPE sur un investissement d’extension et tout cela dans le but de sauver une société en voie de faillite. Cette opération a été faite dans le cadre de loi et des prérogatives du CPE ».
Le juge : « pourquoi les dettes ont-elles été prises en charge par le crédit et non pas par la société privée ? ». Ouayahia : « la dette n’a pas été enlevée. Lorsque le groupe a obtenu le crédit qui, faut-il le préciser, n’est pas commercial, mais de sauvegarde, il était tenu de verser les intérêts au trésor public, dans les 7 ans qui suivent. Ce sont des mesures qui lui ont été appliquées par le CPE et le Holding chargé de la privatisation ».
Le juge : « comment KouGC a-t-il bénéficié de marchés dans trois secteurs, l’Hydraulique, l’Aniref (Agence d’intermédiation et de régulation foncière), et Télécommunication ? ». Ouyahia : « c’est le CPE qui le lui a accordé. Je n’ai aucune relation avec les Kouninef. Je ne les connais pas. Je n’ai même pas leur numéro de téléphone. Je n’ai pas pour habitude d’accepter les interventions et ceux qui me connaissent le savent très bien ».
Le juge appelle Abdelmalek Sellal, lui aussi est auditionné par visioconférence. Poursuivi pour les mêmes faits que son prédécesseur, mais sans faire l’objet de mandat de dépôt, Sellal nie et le juge l’interroge en tant qu’ancien ministre de l’Hydraulique : « expliquez-nous cette réévaluation du marché d’approvisionnement en eau potable (Chlef-Tenes) qui a atteint 14,14 % de la valeur initiale ».
Sellal : « ce marché a été octroyé 3 ans avant que je ne sois nommé 1er ministre. Sa réévaluation est technique. L’ANBT est seule habilitée à discuter la réévaluation des marchés. Les prérogatives du ministre se limitent à informer des crédits de paiement et des autorisations de programmes. Sa mission est d’informer l’agence des décisions qui lui sont notifiées par le ministre des Finances ».
Le juge le ramène au programme d’approvisionnement de la wilaya de Constantine en eau potable et Sellal explique : « cela concerne le dégel du projet en lui-même. Je n’ai accordé aucun avantage. Le maître de l’ouvrage est le wali de Constantine. C’est le ministre de l’hydraulique qui l’a présenté au gouvernement, qui l’a validé. Il faut revenir au contexte de l’époque. Constantine vivait une crise d’eau potable. De ce fait, le programme était une urgence. Raison pour laquelle, les autorités locales ont présenté le dossier que le gouvernement a entériné. Nous étions à la veille de la manifestation internationale, Constantine capitale de la culture islamique. Il fallait rapidement apporter des solutions à cette crise. Le wali à fait un rapport dans ce sens et expliqué l‘urgence d’un tel programme ».
« Mon compte trésor où ma retraite est versée a été confisqué »
Avant que le juge ne passe à un autre prévenu, Sellal reprend la parole et s’offusque : « monsieur le juge, on m’a confisqué les biens de toute ma famille. Le compte où je reçois mon salaire et tous mes biens justifiés ont été confisqués. J’ai une villa familiale, un logement à mon nom, un autre logement au nom de mon épouse. Je n’ai jamais été poursuivi pour corruption. J’ai été ministre durant 15 ans et pendant 5, 1er ministre après avoir été ambassadeur. Avec mes revenus, ne puis-je pas avoir ces biens ? Mon épouse a travaillé pendant 40 ans et été au service du pays, n’est-ce pas suffisant pour avoir un bien ? Même ma retraite a été confisquée… ».
Ouyahia lui emboîte le pas : « Monsieur le juge, moi aussi j’ai subi le même problème de confiscation de tous les biens familiaux et aussi de mon compte trésors où est versée ma retraite. C’est un compte qui ne peut être alimenté que par le trésor ». Le juge prend acte des doléances et le procureur prend le relais pour interroger Abdelmalek Sellal : « plus de 8 milliards de dinars, dépensé avec un retard de presqu’une année. Est-ce cela l’urgence ? ».
Sellal : « Le gouvernent a comme mission de voir s’il y a urgence ou pas et les autorités locales suivent le respect des délais sur le terrain. Une transaction ordinaire demande plus de 24 mois, entre l’élaboration du cahier des charges, sa publication, les recours etc. Le maître de l’ouvrage a les prérogatives d’appréciation. J’ai été jugé pour la même affaire et j’ai bénéficié de la relaxe ».
Le juge appelle Hocine Necib, ancien ministre des Ressources en eau, en détention, poursuivi pour « abus de fonction, octroi d’indus avantages et dilapidation de deniers publics ». Lui aussi rejette catégoriquement les griefs qui concernent le marché de réalisation du 2ème tronçon du programme de connexion de la ville de Bechar au réseau d’eau potable.
Il déclare : « le gré à gré est une décision de l’Etat. Le code des marchés publics a prévu trois cas d’urgence ». Le juge : « qui décide du gré à gré ? ». Necib : « c’est le terrain, la situation, le constat, ou l’étude technique. En fait, c’est tout un processus. Il y a d’abord le rapport du wali sur le caractère de l’urgence. Puis, on a envoyé des experts et avec l’aide des élus et du wali, il y a eu une étude, pour arriver enfin au programme d’urgence. Il faut savoir qu’il fallait transférer les eaux de Beni Ouenif, jusqu’à Béchar, du fait de la baisse drastique du niveau des eaux du barrage. La proposition a été faite par des experts de haut niveau. J’ai informé le gouvernement, à travers son 1er ministre, alors Ahmed Ouyahia, lequel l’a validée ».
Le juge : « pourquoi 5 mois de retard alors que vous dites qu’il s’agissait d’une urgence ? ». Necib : « au début, tout allait bien. Mais au fur et à mesure, le dossier n’arrivait pas à avancer. Il est arrivé en juin et ce n’est qu’au mois d’août que nous avions obtenu l’accord pour l’autorisation de programme puis le visa du contrôleur financier pour le crédit de paiement qui a pris du temps ».
Le juge : « pourquoi l’entreprise a-t-elle bénéficié de différé du paiement des pénalités de retard ». Le prévenu : « dès que le visa a été obtenu, nous avions démarré le programme. C’était au mois de janvier, mais, en mars, je suis parti. Je ne sais pas pourquoi il y a eu ce retard ».
Pour ce qui est du programme d’eau potable de Constantine, Necib affirme : « c’est un programme décentralisé. Il a été présenté par le wali en tant que maître de l’ouvrage. Ils ont lancé la consultation et c’est KouGC qui a obtenu le marché. Il y a eu une demande pour le recours à la procédure de gré à gré. Dans la dernière correspondance, il est fait état du caractère de l’urgence qui ne peut s’accommoder des délais d’appel d’offres. Le wali est le mandataire de l’État et l’ordonnateur. Sur cette base nous avions soumis, la demande à l’examen au gouvernement. Je n’ai fait qu’assurer la transition entre le wali et le gouvernement ».
Le juge : « lorsque le gré à gré est demandé, mentionne-t-on l’entreprise ? ». Le prévenu : « C’est clair que la sélection de l’entreprise est mentionnée. Lorsqu’il y a besoin et qu’ il n’y a pas d’étude, je présente un dossier au gouvernement. Mais dans ce cas, c’est une restructuration sans incidence financière ».
« Si le programme n’avait pas été réalisé, nous aurions été poursuivis »
Le procureur : « comment le groupe KouGC a-t-il été choisi ?». Necib : « le projet est composé de 10 lots. 17 sociétés dont KouGC ont répondu à la consultation large, pour le projet qui était composé de 10 lots. KouGC a soumissionné pour les 10 et elle les a obtenus ». Le magistrat : « comment c’est KouGC ? A-t-il mis en place ses installations sur le terrain avant même qu’il n’obtienne le marché ? ».
Le prévenu : « c’est un projet sensible et suscite l’intérêt de tous le gouvernent ». Le juge : « justement, il aurait pu avancer et ne pas connaître de retards aussi importants… ». Le prévenu : « nous avons été très vite dans la procédure. Comment pourrais-je parler d’urgence et dire à KouGC de s’installer trois mois après. Si nous n’avions pas réalisé le programme, nous aurions été poursuivis. Nos voisins l’ouest récupèrent les deux tiers de l’eau qui existent. Ce programme alimente la population de Bechar et mais aussi les unités de l’Armée, qui assurent la sécurité de nos frontières, et l’agriculture ».
Necib cède sa place à l’ex-1er ministre Noureddine Bedoui, poursuivi en tant qu’ancien wali de Constantine, pour « octroi d’indus avantages, abus de fonction, et dilapidation de deniers publics », et détenu pour une autre affaire. Il nie les faits et déclare : « j’ai été en poste à Constantine du 30 septembre 2010 au 11 sept 2013. Je n’ai aucun document ni procédure administrative avec KouGC ou encore avec cette affaire ».
Le juge : « aviez-vous envoyé une lettre au ministre des ressources en eau pour l’informer de l’accord du gouvernement pour ce programme d’urgence d’alimentation de Constantine en eau potable ? ». Bedoui : « je précise que la lettre envoyée au ministre ne comporte pas de cahier des charges. Ce sont des procédures techniques faites par la direction de l’hydraulique. La lettre du 20 mai 2013, évoque uniquement des programmes validés par le gouvernement, pour informer le ministre des finances et enregistrer les opérations avant la signature. La partie contractante est la direction de l’hydraulique.
Lorsque j’ai été désigné en 2010, Constantine souffrait. Elle vivait une catastrophe. Les quartiers de Zighout Youcef, Diddouche Mourad, Hama Bouziane et de la nouvelle-ville n’avaient pas d’eau. C’était un énorme programme. J’avais parlé au 1er ministre notamment de l’absence de capacités de stockage. Oran, avait 21 jours de stockage et je ne parle pas d’Alger. Il fallait alerter les autorités. L’accusation repose sur l’enregistrement de l’opération d’alimentation, de stockage et de canalisation d’eau, qui était imposée par la loi des marchés publics ».
Le juge : « jusqu’en 2019, le taux d’avancement du projet n’avait pas atteint les 40 % et à ce jour, il n’a pas encore été achevé. Où est donc l’urgence ? ». Bedoui : « le 11 septembre 2013 j’étais déjà parti. On m’a accusé de la signature du contrat avec KouGC. Le partenariat avec KouGC a été fait en 2014 et engagé en 2015 alors que j’étais déjà au gouvernement. Le CTH (Contrôle technique en construction hydraulique), est un organisme de contrôle. Il ne peut sortir de cette prérogative. En tant que wali tout ce qui est technique et transactionnel relève de la direction de l’hydraulique de Constantine. J’étais déjà parti en 2014, lorsqu’il y a eu la signature du contrat ».
L’ancien 1er ministre affirme, par ailleurs, qu’à son arrivée à la tête de Constantine, en 2011, il avait fait face à trois gros problèmes, le logement, l’eau potable et l’assainissement, puisque la wilaya n’avait qu’une seule station d’épuration.
« Les deux tiers de l’eau était pompés par notre voisin de l’Ouest »
« Le ministre des ressources en eau était en visite à Oum El Bouaghi et nous l’avions ramené pour le sensibiliser. La 1ere décision qu’il a eu à prendre en 2914, c’était de consacrer 1,4 milliards de dinars pour régler la problématique de l’eau. Le 1er ministre, Abdelmalek Sellal connaissait le secteur. Ce qui a été fait était énorme. 50 % du programme accordé à Constantine, lors de la visite du 1er ministre, a été consacré à l’eau. Ce qui Cela m’a poussé à entériner le projet ».
Il rejoint le box et c’est Arezki Baraki, ancien ministre des ressources en eau, et ex-directeur général de l’ANBT, qui lui succède à la barre. En détention, pour abus de fonction, octroi d’indus avantages et dilapidation de deniers publics, il rejette les griefs et explique : « le contrat pour l’approvisionnement de la wilaya de Bechar en eau potable, a été fait dans un cadre légal ».
Le juge : « pourquoi KouGC a-t-il enregistré 27 mois de retard, soit trois fois le délai imparti à la réalisation du projet ? ». Le prévenu : « il y avait réellement urgence. KouGC avait un délai de 6 mois, mais en juin 2019, tous ses comptes ont été bloqués ». Le juge : « c’était avant 2018 et non pas en 2019… ».
Le prévenu précise que la réalisation devait se faire au mois de septembre 2019. Il quitte la barre et c’est Mohamed Loukal, ministre des Finances, poursuivi en tant qu’ex-PDG de la BEA (Banque extérieure d’Algérie) et président du comité de crédit de ladite banque, en détention pour « octroi d’indus avantages, abus de fonction et dilapidation de deniers publics ».
Il nie les faits et précise que les 20 milliards de dinars de crédit ont été accordés à KouGC par les dix membres du comité qu’il préside, et non pas par lui, seulement en tant que président. « Chacun des membres, y compris moi, en tant que président, avons une voix. La décision est collégiale. Le chef de file n’a aucune prérogative pour rejeter une quelconque décision validée. La banque a participé à ce projet à hauteur de 32 % soit 8,5 milliards de dinars. Il s’agit d’un projet structurel qui a créé 2000 emplois et permet de répondre à 40 % de la demande en huile et de développer l’agriculture ainsi que les capacités de production et réduire ainsi le monopole ».
Le juge : quelles sont les garanties ? ». Le prévenu : « le comité de crédit a donné son aval et décidé de demander la solidarité d’autres banques
En 2015. Les garanties sont nombreuses et multiformes. La 1ère, est que le projet est structurel et couvre 148, 75 % du montant. Chaque dinar des 18,6 milliards de dinars de garantie, qui entre dans le compte de Nutris, la filiale de KouGC à laquelle a été cédée le groupe Cogral, détenteur de l’ENCG, va à la banque ».
Le juge : « avez-vous recouru à des expertises ? ». Loukal : « l’expertise a été faite par KouGC, pour conforter sa demande. Le terrain était une concession. Il n’est pas entré comme participation ». Le juge : « pourquoi vous n’avez pas fait une autre expertise ? ».
Loukal : « nous ne sommes pas obligés. Le nantissement des actions, du fonds de commerce, des comptes, de l’hypothèque soit 148, 75 %. J’ai participé à l’architecture financière, mais la décision d’octroi du crédit est intervenue après mon départ ». Il relève, par ailleurs, que la dépréciation du dinar a poussé à une réévaluation compte tenu de la hausse du taux de change du dinar, qui est passé de 1,84 DA à 1,107 DA.
Selon lui, « le business plan a défini le montant et la banque a projeté la comptabilité et le CNI (Conseil national de l’investissement a validé le montant.» Le juge : « si la BEA pouvait financer entièrement l’opération, pourquoi a-t-elle fait appel à la solidarité d’autres banques ? ».
Loukal : «8 milliards de dinars est un volume d’une moyenne entreprise. Mais avec la crise financière, nous voulions partager le risque ». Appelé à la barre, son successeur à la tête de la BEA, Bahim Semid, en liberté est poursuivi pour « abus de fonction et octroi d’indus avantages », n’y restera qu’une dizaine de minutes et n’apporte rien au débat.
Il confirme ce que son prédécesseur avait déclaré. Le juge appelle Ammar Ghoul, ancien ministre des travaux publics, poursuivi pour « abus de fonction, octroi d’indus avantages et dilapidation de deniers publics », qui nie en bloc. « Ces griefs concernent les marchés publics, or la concession foncière n’est pas marché. De 1999 à ce jour, les mêmes procédures d’octroi de concessions foncières sont utilisées. Je suis intervenu une fois, lorsque le secrétaire général m’a informé du projet. Je lui ai dit de veiller à agir avec impartialité ». Le juge : « Comment Nutris a-t-elle pu bénéficier de 15 ha à Djendjen ? ».
Ghoul : « elle a demandé 15 ha à l’entreprise portuaire et celle-ci les lui a accordés. Le dossier est arrivé au ministère en même temps qu’un autre similaire. Nutris ne pouvait donc pas prendre les 15 ha seule. Mais elle l’a eu ». Le juge : « le directeur peut-il donner son accord sans votre avis ? ». Ghoul : «il envoie le dossier au ministère, plus précisément à la direction des ports, sous l’auspice du secrétaire général. Il l’étudie et s’il n’y a rien, le ministère ne s’oppose pas. Plus de 250 concessions ont été affectées de la même manière ».
20 ans requis contre Abdeslam Bouchouareb et Hamid Temmar en fuite
Ghoul reprend sa place au box et c’est Imene Houda Feraoun, ancienne ministre des Télécommunications, qui le remplace à la barre. Détenue, pour les mêmes faits que son prédécesseur, elle nie tous les griefs et déclare : « je ne suis pas concernée par les faits étant donné que je n’étais pas ministre en 2004. L’affaire opposant KouGC à Algérie Télécom concerne un contentieux entre le service juridique d’AT et KouGC. Elle était juge et a connu un long parcours. Le dossier des dettes, ne me concerne pas non plus. Je n’ai été nommée qu’en 2015. Nous avions utilisé toutes les voies de recours judiciaires. En tant que ministre c’est la seule chose que je pouvais faire. Algérie Telecom est une personne morale autonome. Quelle mesure aurais-je pu faire et que je n’ai pas fait ? Je n’ai pas de relation hiérarchique avec AT et sa filiale Mobilis. En quoi suis-je concernée donc ? ».
Le juge : « vous étiez la première responsable du secteur… ». La prévenue : « quand j’ai été nommée à la tête du département, AT avait déjà son assemblée générale et Mobilis était une de ses filiales. Le commissaire aux comptes est celui qui fait le rapport de gestion informe l’AG. Mais, il ne l’a pas fait ». Le juge : « saviez-vous que le secrétaire général de votre ministère est intervenu ? ».
La prévenue : « jamais. Lorsqu’il m’a informé de la décision du tribunal de 1ère instance, pour voir comment allons-nous réagir, je lui ai dit de suivre les voies de recours prévues par la loi. Ils sont tous témoins et ils n’ont jamais dit que je suis coupable de quoi que ce soit. L’affaire était en justice. Nous ne pouvions rien faire. L’IGF à bien défini les responsabilités et n’a pas cité mon nom ».
Houda Feraoun quitte la barre et c’est Ammar Tou, ancien ministre des Télécommunications, qui la remplace. En liberté, il est poursuivi pour « abus de fonction et octroi d’indus avantages », faits qu’il rejette catégoriquement et indique qu’il n’a « aucun lien » avec les décisions prises par A, soulignant au passage que le ministre « n’interfère pas dans le choix des partenaires ».
Selon lui, durant son mandat, entre 2003 et 2005, il avait comme objectif « de faire sortir l’Algérie du lourd retard enregistré en matière de téléphonie ». En moins de 5 minutes, Tou termine son audition et c’est Mhamed Mhareb, ancien PDG d’AT qui lui succède à la barre, pour répondre des mêmes griefs qu’il rejette en bloc. D’une voix aphone, il répond négativement à toutes les questions, mais sa directrice du service contentieux, Souad Bachagha (en liberté) poursuivie également, affirme que le PDG était au courant de tout ».
Elle explique : « nous avions utilisé toutes les procédures pour arriver à un arrangement à l’amiable avec Mobilink de KouGC. L’accord a été transmis au PDG et il m’a demandé de le signer. J’ai une délégation de signature. Il n’a pas arrêté de m’appeler jusqu’à ce que je le lui ai ramené. Toutes mes correspondances au titre de compte rendu, lui sont adressées. La signature de l’accord s’est faite en présence de toutes les directions et le chèque de Mobilink signé par le PDG et le directeur des finances. Nous étions sous pression. Je suis juriste et j’agis en tant que telle ».
Lors de son réquisitoire le procureur et après avoir porté la responsabilité des faits sur l’ensemble des prévenus, a réclamé une peine de 15 ans de prison contre les deux anciens 1ers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal ainsi que l’ex-ministre des ressources en eau, Arezki Baraki, et une autre de 12 ans de prison ferme assortie d’un mandat de dépôt à l’audience, contre Noureddine Bedoui, dernier 1er ministre sous Abdelaziz Bouteflika.
Même peine demandée pour l’ex-ministre des ressources en eau, Hocine Necib et l’ex-ministre des travaux publics, Ammar Ghoul. Le procureur a également requis, 20 ans de prison ferme, avec mandat d’arrêt international, contre les deux anciens ministres en fuite, Abdeslam Bouchouareb et Hamid Temmar, ancien ministre de l’industrie et de la participation de l’Etat, ainsi que contre l’ancien wali de Constantine, Ali Bedrissi.
Le parquet a par ailleurs demandé une peine de 10 ans de prison ferme contre les deux ex-ministre des Télécommunications, Houda Imene Feraoun et Ammar Tou, une autre de 5 ans contre Mohamed Loukal, et des condamnations allant de 3 à 8 ans de prison ferme contre le reste des prévenus.