« Même les bouteilles en verre ont fondu ». Lance Amine à ses copains qui sont venus dans la région d’Oued Das afin de porter main forte aux citoyens sinistrés dans cette région. « Pour que le verre fonde, il faut plus de 1000 degrés ». Lance-t-il à ses amis avec beaucoup d’amertume.
Dans cette route qui mène vers Ait Oussalah, dans la commune de Toudja, il n’est pas nécessaire d’arriver jusqu’aux villages pour s’en rendre compte de la gravité de la situation. En allant de Tighremt vers Oued Das, l’odeur du brûlé sature l’atmosphère. Tout est réduit en cendres. « La forêt verte qui était là il y a deux jours a disparu en quelques heures. On ne voit plus les arbres et la végétation très dense. C’est un désert noir ». Nous confie N.M., Habitant du village Ait Oussalah, qui est venu voir ce qui reste des deux véhicules brûlés avec 15 concitoyens à bord.
Le trentenaire, vêtu d’un T-shirt gris à rayures blanches et d’un pantalon en jean bleu n’arrive pas à retenir ses larmes. Les doigts de sa main gauche grattent ses cheveux noirs en hochant la tête dans tous les sens, il nous raconte le calvaire de ces familles qui tentaient de fuir ces flammes gigantesques qui ont atteint son village.
« Les feux ont atteint notre village. C’était la panique générale. Les flammes hautes de plus de 5 mètres dévoraient la forêt autour avec une vitesse incroyable. Même pas le temps pour nous de réunir nos affaires ». Raconte notre interlocuteur qui parfois, s’arrêtait pour reprendre son souffle. « Le cœur est plein ».

« Ils ne méritaient pas ça. C’est injuste »
Le regard figé sur les deux voitures couchées toutes les deux sur le côté, Malik* poursuit son histoire. « Ils étaient 15 dans ces deux voitures. Tous de notre village. Ils voulaient rejoindre la plage de Tighremt, mais les flammes leur ont coupé la route ».
Ce jour-là, « on ne pouvait pas voir devant nous. Tout était rouge et les cendres dégagées par les flammes rendaient la respiration et la vue presque impossibles. Ils ne pouvaient ni continuer, ni faire demi-tour », nous raconte Malik, qui ne pouvait plus tenir longtemps avant de fondre en larmes dans les bras de ses amis qui l’ont accompagné. « Ils ne méritaient pas ça. C’est injuste ». Cria-t-il.
Ces deux voitures sont devenues une halte pour les passagers qui empruntent ce chemin. Il ne reste que tout ce qui est en métal et quelques ossements des passagers qui étaient à bord de ce véhicule. C’est une scène horrible pour tous les passants qui s’arrêtent pour regarder l’état des véhicules.
Des scènes comme celles-ci, il y en a plusieurs. Un peu plus bas, un enseignant de lycée et sa fille étaient à bord d’un véhicule Renault Duster. Ils tentaient aussi de rejoindre la plage, mais hélas, ils ont connu le même destin que les passagers des deux voitures précédentes. Ils sont calcinés.
Avant d’arriver dans le village Ait Oussalah, un petit hameau de quelques dizaines de maisons au milieu de la forêt sont complétement ravagées par les flammes. C’est le village Ihamiyen. Arrivés au village, quelques hommes sont assis au bord de la route. Leurs regards sont tous figés vers la terre. « Plus de moral », nous lança l’un d’entre eux.
Avant de nous faire le tour pour voir les dégâts, ils nous expliquent que « seules les quelques poules survivantes, tous les autres animaux et arbres ont été brûlés. Quelques mètres plus loin, un tracteur transportait une vache complétement brûlée. « Ils vont aller l’enterrer avec un engin, car dans quelques heures, ils vont commencer à dégager une odeur insupportable ». Nous explique Hakim*.
« On dort à l’extérieur sur des matelas posés par terre »
Ce trentenaire avec la barbe moyenne taillée et les cheveux crépus, s’est glissé dans son T-Shirt jaune et pantalon noir tout en tirant ses claquettes. « Je n’ai plus de chaussures, ni vêtements. Tout ce qui me reste dans cette vie, c’est ces habits que je porte. Ni papiers, ni argent, et ni vêtements. Tout a été ravagé par les incendies ». Nous confie le jeune homme qui « ne sait plus quoi faire ». Il poursuit et précise : « dans notre village, il n’y a plus d’eau, plus de réseau et plus d’électricité, donc, il n’y a pas de vie ». Regrette Hakim, qui parle avec colère et consternation.
Son copain, lui coupe la parole : « Que va-t-on faire avec l’électricité maintenant ? Plus besoin. Il ne nous reste plus rien ». « Le seul signe de vie qui reste dans ce village, sont les quelques poules brûlées aux pattes qui continuent de courir dans tous les sens à la recherche de nourriture ou d’eau à boire. On se partage l’eau minérale que nous avons achetée avec elles ».
Ici, les maisons sont complétements ravagées. Un tracteur et une huilerie traditionnelle sont entièrement dévastés. Quelques mètres plus loin, une camionnette a été brûlée dans la cour de la maison. « Elle était toute neuve cette camionnette. Il gagnait son pain avec. Il n’est même pas revenu après le feu à cause du choc ». Nous raconte Abdennacer Hami, habitant qui a fui son village lors des incendies, comme tous les autres villageois.
Toutes les familles du village Ihamiyen ont été évacuées dans le Collège d’Enseignement Moyen (CEM) Emir Abdelkader à Toudja. « Les femmes dorment dans le dortoir, et nous les hommes, on dort à l’extérieur sur des matelas posés par terre », poursuit Abdennacer.
« Dès notre retour ce matin au village, c’était le choc de notre vie ». « Ici, les maisons traditionnelles kabyles sont le souvenir de nos aïeux, le patrimoine et l’histoire de notre village et pays. Elles sont restées debout aux bombardements lors de la guerre de révolution, mais elles sont réduites en cendres sous nos yeux, sans qu’on puisse les sauver », regrette-t-il.

« Les petits sont devenus une confiture »
Sur le chemin pour rejoindre Ait Oussalah, la nature a perdu ses couleurs. Tout est noir. Les quelques personnes croisées sur la route, sont les entreprises engagées par Sonelgaz pour rétablir l’électricité. « Nous sommes plusieurs sociétés engagées et chacune son tronçon. Il faudra recâbler toutes les zones touchées par les incendies. Que ça soit la basse ou la moyenne tension », nous explique « Ami Salah » qui tire le câble de moyenne tension.
A l’entrée du village Ait Oussalah, c’est un paysage apocalyptique qui nous fait face. Les montagnes sont noires. Les habitants se sont tous regroupés dans les locaux de deux maisons qui n’ont pas été atteintes par les flammes. « Même si les maisons ont échappé aux flammes, quelques-uns des habitants sont morts dans les deux véhicules coincés entre les flammes à Oued Das, en train de fuir les incendies qui ont atteint le village ». Nous explique Belkacem avec beaucoup d’amertume.
Chibane Rabah, un octogénaire peine à trouver les mots. La barbe blanche, vêtu d’un gilet blanc et une chemise à carreaux, Il se pose sur un tabouret tentant de nous parler malgré le bruit assourdissant des groupes électrogènes utilisés pour générer de l’électricité afin de faire fonctionner les congélateurs pour refroidir l’eau à l’ensemble des habitants. Entouré des bénévoles qui déchargent les dons qui commencent à arriver.
« Quand le bon Dieu nous a donné les enfants, on était très contents et on a vécu avec eux, aujourd’hui, on a ramassé uniquement leurs os. Ma belle-fille, sa sœur et mes deux neveux. Il n’y a plus rien à ramasser de leurs corps. Les petits sont devenus une confiture », nous raconte « Da Rabah » qui fond en larmes en tenant son front avec sa main gauche.
« Ce jour-là sur la route, ils ont croisé d’autres personnes qui ont fait demi-tour. Ils leur ont demandé de rebrousser le chemin, mais ils ont décidé de continuer et traverser les flammes. C’est le destin », conclut Da Rabah qui ne pouvait plus retenir ses larmes à cause de l’émotion qui a pris le dessus sur lui.
Lors de la visite du village, Anaïs*, 13 ans, nous interpelle. Les cheveux en air, vêtue d’un pull rose, elle nous demande de la suivre pour nous montrer ses poules qui n’ont pas résisté. « Ce sont mes poules. Avant, c’était moi qui m’occupais d’elles », nous raconta cette jeune fille qui croise ses doigts tout en se posant une question : « Va-t-on me donner de nouvelles poules ? ».

« Ce n’était pas des flammes, c’est l’enfer lui-même »
Dans ce village, les animaux ont presque disparu. « Avant, on se plaignait des cris des chacals. Mais aujourd’hui, plus de vie. On n’entend plus rien », nous raconte Ami Ali, septuagénaire qui ne croyait plus ses yeux de ce qu’est devenue la maison qu’il a peiné à bâtir. Glissé dans sa chemise bleue, la tête couverte d’une casquette, il nous confirme la version de « Da Rabah ».
« J’ai de la chance car je suis encore en vie. J’ai pris mon petit camion. Dans la benne, ma famille et quelques habitants. On voulait rejoindre aussi la plage. Mais sur la route, nous avons rebroussé le chemin, car les flammes nous faisaient barrage. Impossible de passer. Les 15 personnes qui sont décédées, ont malheureusement décidé de poursuivre, même si sur mon chemin du retour, je leur ai demandé de faire demi-tour, mais, en vain », nous raconte-t-il avec tristesse.
Une main sur un mur complétement noirci, il ne croit pas ses yeux. « Je posais brique après brique. Je construisais mur par mur. Je voyais ma maison prendre forme depuis 30 ans. J’ai mis toutes mes forces et mes économies ».
« Mais, hier, tous les efforts de toute une vie ont disparu en quelques secondes. Ce n’était pas des flammes, c’est l’enfer lui-même ». « Da Ali ne pouvait pas retenir ses larmes. « Le cœur est plein. Il est plein. Espérons juste que les autorités nous indemnisent pour reconstruire nos maisons ». Conclut-il en nous montrant les dégâts dans sa maison qui est complétement calcinée. Devant la maison, son fils, la quarantaine, prend une bassine remplie d’eau et de lessive, et lave les quelques chaises et verres qui restent.

De retour chez Da Rabah, les dons commencent à affluer. Aouedj Karim et trois autres habitants du village Tabouda, dans la commune d’Illoula Oumalou (Tizi Ouzou) sont venus avec deux camionnettes remplies d’eau et de produits alimentaires. « Nous sommes venus ici en solidarité avec les sinistrés de la région. Nous avons vécu cela en 2021 et les gens de Béjaïa et des autres régions d’ailleurs nous ont beaucoup aidés. Aujourd’hui, il est de notre devoir de faire de même ».
Les dons ne sont pas distribués dans le village Ait Oussalah uniquement. Dans le CEM Emir Abdelkader à Toudja, nous avons encore une fois recroisé Abdennacer Hami, habitant du village Ihamiyen. Les enfants du village courent derrière le ballon dans la cour de cet établissement scolaire. « Nous avons des repas froids et de l’eau fraîche ici. On n’a pas le choix. Nous devons surpasser cette étape », nous confia-t-il en attendant « un geste fort de la part des autorités ».
*Les noms ont été changés.