Transition énergétique dans le domaine de l’éclairage public : les communes face à de multiples difficultés

Les efforts consentis par les collectivités locales en matière d’efficacité et de transition énergétique dans le domaine de l’éclairage public ne semblent pas suffire pour atteindre les objectifs tracés par les autorités du pays d'atteindre 10% d'économie énergétique d'ici 2030, a estimé la Cour des comptes dans son rapport annuel. Toutefois, "un effort soutenu pendant la période restante peut permettre de réaliser ces objectifs", a-t-elle ajouté.
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Dans son rapport annuel (2024), la Cour des comptes s’est penchée sur « l’action des collectivités locales en matière d’efficacité et de transition énergétique dans le domaine de l’éclairage public », en prenant comme échantillon neuf communes relevant des wilayas de Bouira, Tizi-Ouzou, M’sila, Bordj Bou Arreridj et Boumerdes.

Le contrôle a révélé, d’un côté, « qu’à l’origine l’effort requis des communes répond plus à un souci de réduction de la charge financière d’électricité supportée qu’à des considérations écologiques », de l’autre, que cet effort d’efficacité énergétique « consenti par les communes à travers la substitution des lampes conventionnelles par d’autres moins énergivores, est insuffisant pour l’atteinte des objectifs retenus à l’horizon 2030 ».

Ainsi, même si plusieurs programmes allant dans ce sens ont été lancés au niveau central, « l’action en matière de transition énergétique, à travers la promotion de l’énergie d’origine solaire n’est pas satisfaisante et certaines opérations réalisées n’ont pas abouti au résultat escompté ».

Ceci, d’autant plus que « le suivi et l’entretien du réseau est largement perfectible pour peu que les communes bénéficient de plus d’assistance et d’accompagnement des autorités de tutelle ».

« Planification sommaire », absence de compétence », « référentiel relatif à l’éclairage public méconnu », « un personnel manquant de qualification », « un entretien erratique d’un réseau insuffisamment connu », « une faible connaissance du patrimoine d’éclairage public », « un suivi sommaire de la dépense d’électricité » : tel sont, en résumé, les « contraintes » relevées par la Cour lors de son contrôle et qui font que ces objectifs énergétiques, en l’état actuelle des choses, soient difficiles à atteindre.

Les objectifs pour 2030…

A cet effet, il a été rappelé que ce programme national dédié au développement des énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique à l’horizon 2030, « a pour objet d’amorcer la transition d’un système basé totalement sur l’énergie fossile vers un système diversifié, moins émetteur en gaz à effet de serre, tout en permettant le développement économique et la sécurité d’approvisionnement énergétique ».

Ainsi, « le modèle de consommation énergétique retenu est basé sur la diversification du mix énergétique à travers une sobriété et une économie d’énergie ainsi qu’un recours plus important aux énergies renouvelables ».

Dans ce sens, il prévoit, notamment, « le remplacement des lampes conventionnelles équipant le réseau d’éclairage public et les divers édifices abritant les services administratifs par des dispositifs à basse consommation notamment les diodes électroluminescentes (LED), moins énergivores » et « le recours aux énergies renouvelables ; installations solaires destinées aux écoles primaires et à certaines institutions ».

Promotion de l’énergie solaire…une action non satisfaisante

La Cour relève à cet effet que « l’effort requis des communes est justifié plus par le souci de réduire la charge financière d’électricité » et qu’ « elles ne semblent pas être suffisamment sensibilisées quant à l’importance écologique ».

Ainsi, elles se concentrent plus sur « la maîtrise des coûts » que sur « l’objectif de diminuer leur empreinte carbone ».

Par ailleurs, « l’action des collectivités en matière de transition énergétique, à travers la promotion de l’énergie d’origine solaire n’est pas satisfaisante et certaines opérations réalisées n’ont pas abouti au résultat escompté ».

Ceci, sachant que « l’effort d’efficacité énergétique par la substitution des lampes conventionnelles par d’autres moins énergivores, est loin de contribuer à l’atteinte des objectifs retenus à l’horizon 2030, à moins d’un sursaut salvateur durant le délai restant à courir ».

Par ailleurs, « le suivi et l’entretien du réseau est à parfaire, d’autant plus que les nouveaux matériaux installés requièrent plus d’entretien que les moyens antérieurs ».

Un personnel communal insuffisamment outillé 

L’autre problématique soulevée par la Cour est « le manque d’assistance et d’accompagnement pour une meilleure prise en charge des actions retenues » dont souffrent les communes.

Ainsi, « le personnel communal en charge de ce volet déjà insuffisamment outillé et formé est confronté à l’absence de normes techniques de référence adoptées qui faciliteraient l’élaboration des cahiers de prescriptions techniques pour mieux encadrer le choix des matériaux dont l’utilisation serait requise ».

« Une planification sommaire », source « d’incohérence »

La Cour a également relevé le fait que « les actions des collectivités en faveur de la rénovation énergétique, en remplaçant notamment les lampes traditionnelles par des LED, ne se sont pas inscrites dans des perspectives organisées et cohérentes ».

Dans ce sens, il a été mentionné dans ce rapport qu’ « alors que l’instruction du ministre de l’intérieur, des collectivités locales et de l’aménagement du territoire, n°28 du 04 novembre 2019, a chargé les Walis d’élaborer, en concertation avec les présidents d’APW et d’APC, un programme d’investissement en matière d’énergie renouvelable et d’efficacité énergétique en tenant compte des objectifs cibles et d’une structure de montage financier qu’elle a fixé pour 2020, aucune des communes de l’échantillon n’a présenté de programme formalisé ».

Ainsi, « les réalisations des communes contrôlées en termes de transition vers les énergies renouvelables semblent quelque peu éloignées des objectifs retenus à l’horizon 2030 par l’instruction n°28 du 04 novembre 2019 ».

« Une évolution erratique des montants facturés d’électricité »

La Cour des comptes relève également « une évolution erratique des montants facturés d’électricité et d’éclairage public », au niveau des communes contrôlées. Des chiffres relatifs à la période concernée qui « ne révèle pas une nette décroissance des coûts d’énergie suite à l’utilisation des lampes LED ».

Pourtant, estime la même instance, « il est admis que l’usage de ces lampes réduit la quantité d’énergie soutirée et impacte positivement l’écologie (diminution de l’empreinte carbone) et les finances (baisse de la facture d’électricité) ».

A cet effet, même si « ces objectifs paraissent raisonnables », à savoir « électrification solaire de toutes les écoles et de 50% des mosquées, substitution des lampes énergivores dans les bâtiments administratifs relevant du ministère de tutelle, réalisation pour chaque commune de 200 points lumineux solaires, 500 LED, de 30 points lumineux solaires au niveau des plages autorisées à la baignade et remplacement de tous les luminaires à mercure ».

La Cour signale en dernier lieu que « toutefois, un effort soutenu pendant la période restante peut permettre de réaliser ces objectifs ».

D’autant plus que, comme d’ailleurs ça a été signalé par le secrétaire général du ministère de l’Intérieur dans sa réponse adressée à la Cour, différentes instructions ont été données, notamment celle du 12 mars 2023, concernant la réalisation et la gestion de l’éclairage public.

La Cour recommande l’accompagnement des communes

Pour finir, la Cour des comptes recommande de « prodiguer l’assistance et l’accompagnement nécessaires aux communes pour garantir un meilleur déploiement à l’échelon local de la stratégie nationale d’efficacité et de transition énergétique », notamment, « à travers l’adoption par les autorités nationales compétentes de normes rigoureuses pour réglementer la qualité des produits mis sur le marché local et l’instauration d’une veille normative pour en assurer un respect scrupuleux ».

Il est aussi nécessaire de procéder à « l’élaboration de plans communaux annuels et pluriannuels de transition et d’efficacité énergétiques, à travers une approche collaborative ascendante (bottom up) qui tiendrait compte des spécificités énergétiques locales et d’assurer l’évaluation de leur mise en œuvre », ainsi que « la dotation des communes en personnel technique suffisamment formé à l’usage et à l’entretien des nouveaux matériaux et dispositifs utilisés en matière d’énergie renouvelable et d’efficacité énergétique ».

Les chiffres du ministère de l’Intérieur

Le ministère de l’Intérieur semble optimiste quant à la réalisation des objectifs tracés. Dans sa réponse, il a indiqué que « le programme de rénovation de l’éclairage public, arrêté pour la période 2020-2023 », et qui consiste « en la substitution de 1 040 015 points lumineux mercure par des lampes sodium et des lampes LED » a été réalisé à 91% au 31 décembre 2023.

Ainsi, à cette date, « 944 763 (soit 91% du programme) points lumineux ont été remplacés par des lampes LED, tandis que 95 252 points lumineux sont en cours de rénovation, prévus pour être livrés au cours de l’année 2024 ».

D’autre part, pour ce qui est du programme des nouvelles réalisations d’éclairage public pour la même période (2020- 2023), il a été mentionné qu’ « il a été procédé à la réalisation de 895 041 nouveaux points lumineux », sur un programme de 946 082 nouveaux points, soit un taux de 95%.

Concernant l’évolution du parc d’éclairage public durant cette période, le parc des points lumineux en LED est passé de 65 347 au cours de l’année 2020 à 1 623 179 en 2023, soit de 02 % à 39 %, alors que celui des points lumineux en photovoltaïque est passé de 13 723 points en 2020 à 62 893 en 2023, soit de 0,4% à 2%.

Le parc des lampes Mercure réduit de 36 à 6% entre 2020 et 2023

Le ministère de l’Intérieur signale, par ailleurs, que « le parc d’éclairage public équipé de lampes Mercure a été réduit de 1 176 245 en 2020 à 231 482 en 2023, soit de 36 % à 6 % de tout le parc de l’éclairage public ».

Pour ce qui est de l’impact financier et environnemental de ces programmes d’investissement en matière d’éclairage public, cela s’est traduit par « une réduction de la facture énergétique d’une valeur financière estimée à 2,187 milliards de DA », avec une « une réduction de la consommation d’énergie d’une quantité de 878 037 mwh annuellement », alors qu’il y a eu « une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’une quantité de 403 897 tonnes annuellement ».

Le ministère de l’Intérieur a également évoqué les « insuffisances et contraintes dans le domaine de l’éclairage public ».

Il a cité, à ce titre, « la défaillance et non-conformité des systèmes d’éclairage public disponibles sur le marché », « la non qualification de certaines entreprises d’installation dans le domaine de l’éclairage public », « manque d’un personnel qualifié dans le montage de projets au niveau des communes, pour la rédaction des cahiers des charges et pour le suivi et le contrôle » et l’ « absence d’une norme Algérienne en matière d’éclairage public ».

Le même département a émis, pour sa part, nombre de recommandations dont la mise en place d’ « un référentiel national de l’éclairage public portant les normes algériennes d’éclairage public » et la « création d’un organe de contrôle à l’instar du CTC et/ou un démembrement du CTC qui sera chargé de la vérification des études et le contrôle de la qualité des réalisations ».

Il est aussi question d’ « encourager et solliciter les startups dans l’élaboration de solutions globales innovantes d’éclairage public », et « les contrats de maintenance et d’entretien avec des entreprises spécialisées ».

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