Sahel : des soubresauts à l’issue incertaine 

La région du Sahel est en ébullition. Quelques jours après l’annonce par le Mali de son retrait de l’« Accord d’Alger », voilà que le Burkina Faso, le Mali et le Niger, décident de se retirer, conjointement, de la Cedeao. Des développements dont l’issue est incertaine. 
© DR | Le président du Mali Assimi Goïta, le président de la Transition du Niger, Abdourahamane Tiani et le président du Burkina Ibrahim Traoré (de gauche à droite sur la photo)

Que se passe-t-il dans la région du Sahel ? Le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont annoncé, conjointement, dimanche 28 janvier 2024, leur retrait définitif de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avec effet immédiat.

Quelques jours auparavant, jeudi 25 janvier plus précisément, les militaires au pouvoir au Mali ont annoncé la « fin avec effet immédiat » de l’accord pour la paix et la réconciliation, issus du processus d’Alger. Une décision qui intervient moins d’un mois après avoir convoqué l’ambassadeur d’Algérie au Mali (Alger ayant appliqué la réciprocité dès le lendemain) pour protester contre ce qui est considéré des « actes inamicaux posés par les Autorités algériennes, sous le couvert du processus de paix au Mali ».

Au-delà des motifs invoqués dans les deux cas (retrait du Mali de l’accord d’Alger et retrait du Burkina Faso, Mali et Niger de la Cédéao), c’est ces développements récents, différemment appréciés bien entendu, qui soulèvent des inquiétudes.

Craintes au sujet du retrait du Mali de l’ « Accord d’Alger »

Certains y voient, d’ores et déjà, une « main étrangère », notamment pour ce qui est du cas du Mali. Evoquant des « turbulences de tout l’arc sahélo-sahélien », l’expert des questions géopolitiques, Sécuritaires et de migration, Hacène Kacimi, qui a intervenu, aujourd’hui sur les ondes de la chaîne 3 de la radio nationale, a affirmé, à propos du Mali, une ingérence « des émirats, du Maroc et d’Israël ».

Réagissant à l’annonce par les autorités maliennes de leur retrait des « accords d’Alger », la diplomatie algérienne a affirmé, dans un communiqué, qu’ « il n’a échappé à personne que les autorités maliennes préparaient cette décision depuis bien longtemps ». Et « les signes avant-coureurs depuis deux ans », ont été « leur retrait quasi-total de la mise en œuvre de l’Accord, leur refus quasi-systématique de toute initiative tendant à relancer la mise en œuvre de cet Accord, leur contestation de l’intégrité de la médiation internationale, leur désignation de signataires de l’Accord, dûment reconnus, comme dirigeants terroristes, leur demande de retrait de la MINUSMA, l’intensification récente de leurs programmes d’armement financés par des pays tiers et leur recours à des mercenaires internationaux ».

Et pas plus tard qu’aujourd’hui, l’Union européenne a « regretté » cette décision des autorités maliennes, estimant que « les populations civiles du Nord du pays seront les premières à subir les conséquences de cette décision unilatérale », comme l’a indiqué Nabila Massrali, porte-parole du chef de la diplomatie de l’UE Josep Borrell.

« L’impact négatif que cette rupture pourrait avoir sur l’ensemble des équilibres nationaux et régionaux, alors qu’aucune alternative à l’accord de paix de 2015 n’a encore émergé, est réel », a poursuivi la porte-parole dans un communiqué.

Le retrait des trois pays de la Cedeao ne sera effectif qu’après une année

Ainsi, parallèlement au retrait du Mali de l’« Accord d’Alger », les trois pays du sahel, Mali, Burkina Faso et Niger, ont annoncé, conjointement, dimanche 28 janvier 2024, leur retrait définitif de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avec effet immédiat.

Ils reprochent à l’organisation sous régionale composée de quinze membres, son « éloignement » des « idéaux de ses pères fondateurs et du panafricanisme ».

Les chefs d’Etats des trois pays ont également estimé que « la CEDEAO, sous l’influence de puissances étrangères, trahissant ses principes fondateurs, est devenue une menace pour ses Etats membres et ses populations dont elle est censée assurer le bonheur ».

Selon eux, « l’organisation n’a pas porté assistance » à leurs Etats dans le cadre de leur lutte existentielle contre le terrorisme.

La Commission de la Cedeao a bien entendu réagi. Tout en précisant qu’elle « n’a pas encore reçu de notification officielle directe de la part des trois États membres concernant leur intention de se retirer de la Communauté », elle a ajouté qu’elle « travaille avec diligence avec ces pays pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel ». « Le Burkina Faso, le Niger et le Mali restent des membres importants de la Communauté et l’Autorité reste engagée à trouver une solution négociée à l’impasse politique », a ajouté la Communauté dans son communiqué.

Là encore, cette situation inquiète au plus haut point les uns et les autres, d’autant plus qu’elle implique plusieurs pays à la fois.

Il faut dire que les tensions entre la Cedeao et les trois pays du Sahel se sont exacerbées depuis le coup d’état au Niger qui a eu lieu en juillet 2023, la Communauté des états de l’Afrique de l’Ouest ayant décrété des sanctions et menacé même d’une intervention militaire pour « rétablir l’ordre constitutionnel ».

Le Burkina Faso et le Mali ont aussitôt exprimé leur soutien aux autorités militaires au Niger considérant toute « agression » contre le Niger, comme une « déclaration de guerre » à leur encontre.

C’est ce qui a conduit les trois pays sahéliens a signé, le 16 septembre 2023, un « pacte de défense mutuel » nommé l’« Alliance des Etats du Sahel » (AES).

Des conséquences « importantes »

L’ancienne ministre nigérienne et ex-représentante Spéciale du SG des Nations unies en Côte d’Ivoire, Aichatou Mindaoudou, a estimé qu’« en annonçant leur retrait immédiat de la Cedeao, les trois pays membres de l’AES (Alliance des États du Sahel) viennent de poser un acte politique extrêmement fort qui traduit l’impasse politique dans laquelle se trouvent leurs relations avec l’organisation ».

Elle a indiqué qu’« une fois le retrait acté après le délai d’un an, les conséquences seront importantes pour les populations ressortissantes de ces trois pays enclavés, particulièrement en ce qui concerne la liberté de circulation des biens et des personnes ».

La diplomate a considéré que « la Cedeao, en restant sourde et insensible aux souffrances des populations des pays concernés, a favorisé l’impasse politique actuelle ».

« Elle doit à présent montrer sa bonne foi et sa disposition à accompagner franchement les pays concernés en retirant tout simplement ses sanctions injustes et non conformes aussi bien à ses propres textes qu’au droit international humanitaire », a-t-elle ajouté.

Si Mindaoudou met en cause la Cedeao, du côté des puissances occidentales, c’est une autre partie qui est indirectement pointée du doigt.

Le secrétaire d’état américain, Antony Blinken, a déclaré, le 24 janvier dernier, dans un entretien accordé à « Jeune Afrique », que « quand le Mali et le Burkina Faso font appel aux forces extérieures comme Wagner pour essayer de répondre aux problèmes de sécurité, les problèmes deviennent plus graves ». Selon lui, la « violence, l’extrémisme et le terrorisme » ont connu une courbe « croissante ».

Les français, dont les contingents, qui étaient en poste surtout au Mali et au Niger, ont été chassés par les nouveaux dirigeants vont également dans le même sens.

En plus de cette « piste » russe, d’autres, comme Hacène Kacimi, ont évoqué le Maroc, en revenant sur l’ « Initiative pour favoriser l’accès des pays du Sahel à l’atlantique », lancée le 23 décembre dernier, soit un mois environ avant l’annonce du retrait de ces trois pays de la Cedeao. Une sorte d’« alternative » proposée à des pays enclavés qui ont besoin d’une « porte maritime » garantie jusque-là dans le cadre de cette communauté des états de l’Afrique de l’Ouest, quoique, pour l’heure, ce retrait ne sera effectif qu’une année après notification et que cette « initiative » n’est qu’au stade de la « proposition », d’autant plus que la « voie » passe par la Mauritanie et le Sahara occidental.

Dans tous les cas de figure, l’issue de ces soubresauts constatés dans la région du sahel, notamment au niveau de ces trois pays, sujets à des coups d’états successivement au Mali, en 2020 et 2021, Burkina Faso en 2022 et Niger en 2023, est incertaine.

 

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